Le réfectoire

Un homme, suivi d'un deuxième moins massif, entrèrent dans la vaste pièce. Même si les sorceleurs n'étaient pas très discours, il fallait bien que quelqu'un s'y colle, ce quelqu'un, c'était Eskel. La force des choses et surtout la hiérarchie l'avait désigné pour parler en premier, avant même Valaar Morvid, au fond, cela ne le dérangeait pas.

L'homme, que l'on aurait pu prendre pour un monstre vu de loin tant la cicatrice marquait son visage comme si elle avait été là depuis le premier jour, s'avanca sur la petite estrade et s'éclaircit la gorge, ses yeux balayant l'assemblée.

Quelque chose avait changé sur le visage d'Eskel, il semblait bien moins grave que la dernière fois que les enfants l'avaient vu, un franc sourire déformait ses lèvres meurtries alors qu'il prenait la parole d'une voix grave et métallique qui pouvait effrayer au premier abord mais qui faisait comprendre avec l'expression du sorceleur qu'il n'était pas un mauvais bougre.

- Bonjour à tous les enfants. Je suis Eskel et... certains disent que je suis un peu le chef de cet endroit, mais je suis avant tout un sorceleur, vous comprendrez que les discours ne soient pas mon fort.

Alors qu'il avait commencé à prendre la parole, des employés étaient venus déposer les repas tant attendus sur les tables en bois devant les élèves.

- Je suis désolé pour ce que vous avez vécu, mais c'est une étape nécessaire et tout les sorceleurs sont passés par là. Monsieur Morvid vous en dira plus.

Un autre détail aurait put être ajouté, mais il n'en fut rien, ils étaient trop jeunes pour leur parler de leur incapacité à procréer.

- Vous serez formés à chasser les monstres ici, pendant 6 ans. Après quoi vous serez libres de partir sur la Voie. Je me chargerai de vous entraîner à l'épée avec l'aide de... Un silence se fit entendre, à la place de l'habituel nom de "Lambert"... d'autres camarades sorceleurs. C'est aussi avec moi que vous apprendrez toutes sortes de choses sur les monstres... Eh bien, je crois avoir terminé. Ah, oui, si vous avez des questions vous pouvez nous les poser, ou à vos aînés ici présents pour vous guider.

Un regard appuyé aux différents intéressés.

- Sieur Morvid va prendre la parole, écoutez le bien.

Il repartit s'asseoir à sa table après avoir agité la tête dans le vide en regardant les nouveaux arrivants et leur faire comprendre qu'il était content de les voir en bonne santé.

Valaar - effectivement frêle comparé au mutant -, entra aux côtés d'Eskel dans le réfectoire une bonne demi-heure après que les derniers enfants retardataires n'arrivèrent ici. Il ne prit pas la peine de vérifier la présence des six, sans doute avait-il déjà été mis au courant, et sans doute que l'attente imposée aux petits était tout à fait artificielle, comme un procédé d'influenciation psychologique... les laisser patauger dans des questionnements jusqu'à ce qu'ils deviennent tourments, pour enfin apporter la réponse qui les délivrerait. Son rôle ici n'était de toutes les façons pas anodins, peut-être que les enfants le comprendraient un jour, lorsque conscience politique leur viendrait.

Lorsque le vieux sorceleur en finit, le mage le remercie d'un sobre hochement de tête, puis s'avança à son tour sur l'estrade.

- Bien. Tranchera l'auguste voix de Valaar, pour que le silence retentisse à nouveau, mais pour peu longtemps, car il enchaînait déjà, dans un rythme lent et imposant le respect. Je suis Valaar Morvid, archimage de l'université de Nilfgaard, consultant pour l'armée impériale et mage en chef de Kaer Morhen. Je dispenserai cours de magie, tout comme Mademoiselle De Vicovaro. Qu'il désignera d'un juste assez révérencieux mouvement de la main. Je serais votre professeur en alchimie, aussi, je vous apprendrai ce que vous avez à savoir sur l'Histoire, et surtout : c'est à moi que vous vous adresserez, lorsque vous sentirez qu'une quelconque particularité s'éveille en vous, autres que celles que vous vivez déjà à présent.

Avec une indolence perçante, les yeux mordorés clairs du Nilfgaardien parcourent les visages de tous les enfants réunis ici. Puis, il prend à nouveau la parole, donnant l'impression de lire un texte, de réciter une formule connut depuis des années, voire des décennies...

- Il ne vous aura alors pas échappé que vous êtes dans une école. L'illustre école de sorceleurs, l'école du Loup. S'il avait un quelconque mépris de cette chose, ce n'était en aucun cas visible. Vous avez, il y a de cela une semaine désormais, subit l'épreuve des Herbes, et en outre avaient reçus des mutations "gé-né-tiques". Cela fait de vous, officiellement des mutants, et les seuls survivants de la moisson de cette année. Cette façon ultra pragmatique de voir et désigner les choses, avait le don d'irriter la plupart des sorceleurs jeunes comme vétérans, mais Valaar ne s'en enquérait jamais.

Les mains de l'obscur personnage se meurent lentement pour amoureusement se rejoindre dans son dos, quelques secondes s'étaient écoulées, et il prit à nouveau la parole.

- Sorceleur. C'est le titre de non noblesse que le monde vous donnera, si vous survivez les prochaines six années ici. "Sorceleur", s'il ne vient à personne la bravoure nécessaire de vous nommer mutant... ou monstre, ordure, immondice, abomination... la liste est non exhaustive. Subrepticement, une parcelle de sourire se déroba du coin gauche de ses lèvres. "Mutant", parce que vous êtes désormais des humains modifiés, plus forts, plus rapides, aux sens aiguisés, résistant à toute maladie ou poison, à la vieillesse. Mais aussi à la naissance, car même en le souhaitant de toute votre désormais difforme Anima, vous ne féconderez, ni n'enfanterez jamais.

Le regard neutre à l'extrême parcoure la salle sans s'attarder sur personne, puis la voix grave et rauque s'élance à nouveau.

- Ce nouvel état qu'est le votre, reste néanmoins une élévation comparée à vos piteuses vies d'avant cela... Par la grâce inestimable de l'impératrice Cirilla Var Emreis, et les empereurs qui lui succédèrent, vous avez été offert l'immense fortune de pouvoir avoir une utilité dans ce monde. Des... monstres, tueurs de monstres, c'est cela que vous êtes : le dernier rempart entre l'Humanité et les viles créatures. C'est certainement la seule chose pour laquelle on vous chérira jamais, tâchez de le garder en tête, car lorsque vous ne servirez plus : le monde vous tournera définitivement le dos.

Un lourd silence retentit alors qu'il se taisait enfin. Les enfants arrivées l'année dernière comprendrait que c'était peu ou prou le même discours, évidemment.

- Vous apprendrez à vous battre dès demain, maintenant mangez.

Comme s'il ne pesait pas la gravité de ses mots, pour ces pauvres enfants qui venaient de vivre enfer sur enfer, il se détourna d'eux n'espérant aucune question, et partit s'asseoir à la table qui lui était dédiée avec les autres mages. Quelques secondes plus tard, les cuisiniers commençaient à apporter différents plats plus succulents les uns que les autres, pour toutes les tables. Les escadrons noirs étaient exceptionnellement absents pour le repas.

Lucius était évidemment présent, plus là pour les nouveaux que pour le discours de ce vieux croulant de Valaar: qu’il aille se faire voir!

Isidir débarqua peu après le discours, ayant mémorisé en cinq années les timings du vieux mage. C'est tout enthousiaste qu'il marcha jusqu'à la table des petits, un grand sourire carnassier au visage. Il s'assoit alors à côté de Maximilian en lui donnant une grande tape dans le dos, sans lui faire mal pour autant.

- Eh les mioches, prêts à pourfendre les monstres ?

Il avait tout du gros lourd, mais peut-être que sa jovialité balayait ce côté et le rendait agréable ?

Un homme que - presque - personne ne pourrait reconnaître se trouvait ici, installé parmi les autres Sorceleurs, ses paupières tombantes lui donnant un air ennuyé: il n’aurait pour rien au monde manqué ce discours - barbant, certes - mais nécessaire. Ce ”Valaar” lui semblait être un homme bien pragmatique, à cheval, strict: en occupant sa position, il se devait bien de renvoyer la meilleure des images, aussi ennuyante et détestable soit-elle. Mais cet homme ne faisait guère dans les fioritures et disait les vérités qu’il fallait dire: les apprentis seraient prévenus, et, en étant trop gentils avec eux, ils se ramollissent... C’est du moins ce que le Sorceleur ayant l’air à la fois vieux et jeune se disait.

L’absence de beaucoup de monde l’aura marqué: de ceux qu’il avait connus ne restaient qu’Eskel ; les autres étant tous partis... Il aurait bien aimé les revoir... Le monde changeait, et, après plus de cinquante ans hors de ses murs, il aurait du anticiper certaines choses: il espérait simplement que les remplaçants des anciens enseignants seraient à la hauteur, malgré son passé avec cette école, il considérait toujours que ses occupants méritent le mieux. Ils avaient Eskel au moins, se dit-il, et, l’ours ne semblait pas avoir changé d’un poil.

Un extrême ennui ancré sur la partie visible de son visage, Daska mangera à sa faim, avant de repartir, restant silencieux.

Il sourit en voyant Thorvir se lever. Il était d'ailleurs assit ici depuis un bon moment et avait écouté tout les discours.

-Carrément !

Il se lève à son tour.

Ichaer se sentait assez dépaysé parmi tout ce beau monde. Nul doute que d'ici quelques jours les résidants s'accoutumeront à la présence des nouveaux mutants, cependant lui n'en était pas un. Le sentiment de s'introduire dans un caste d'adepte de la sorte le rendait songeur voir perplexe quant à son avenir en ces lieux. Il en venait même à se demander si il avait fait le bon choix en acceptant la proposition de l'Empereur.

- Pas très bavards...

Oubliait-il qu'ils venaient de traverser une épreuve particulièrement traumatisante ? Ou l'occultait-il sciemment ? Peu importe, il se releva pour les laisser tranquille puisqu'ils ne semblaient pas réagir.

- OUAIS !

Gueulera-t-il en réponse à Thorvir.

- Bagarre générale dans la cour principale, celui qui me met ko, je lui donne 30 florins !!

Et il s'élancera vers la cour, déter.

- J'suis partant !

Thorvir se précipite à la suite d'Isidir bien décidé à lui foutre une raclée. Tant pis pour la petite rousse qu'il avait repérée, il ira la voir plus tard.