Sur la route menant à la maison

Une ruelle assez dégagée, où le soleil pénètre aisément et vient caresser les pavés luisants. Quelques commerces sont implantés ça et là ; des échoppes, des tavernes,... Mais le plus attractif - du moins au temps de son enfance - était la forgerie. Elle se trouve en aval de la ruelle, car oui, cette dernière est légèrement pentue.

Carmia frappera à la porte d'entrée, pendant quelque courtes secondes aucune réponse lui parvint avant que finalement une voix grâve et granuleuse ne lui réponde :

- Entrez !

une voix qui fut ponctué par un toux grasse et le bruit d'une chaise grinçant sinistrement.

Carmia ouvrira la porte comme une enfant aillant peur de se faire gronder après une longue absence, porte qui grincera désagréablement, de quoi laisser des doutes quand aux compétences du tenant de la boutique. La première chose qui la saisit ne fut pas le triste spectacle du désordre de la pièce, mais bel et bien l'épaisse odeur de renfermé et de poussière stagnante qui habitait la pièce. Une lumière feutrée arrivait péniblement à filtrer au travers des épais rideaux, laissant la pièce éclairée par quelques maigres bougies dans une pénombre inquiétante. La pièce quant à elle était dans un désordre rare, les produits du forgerons étaient bien présents, disponibles à la vente, mais disposés de manière désorganisés, sans aucun soin. Au milieu de ce capharnaum, un vieil homme, aux cheveux grisonnant et aux yeux sombres profondément enfoncés dans leurs orbites. Des rides profondes striaient un visage pâle comme vieillit prématurément. Le forgeron fier et fort avait laissé place à un homme sur lequel tout les malheurs du monde semblaient s'être abattus. Voyant une pièce détachée, il répondra de sa voix roque emplie de lassitude :

- Entrez je vous dit.

Pour les sorceleurs, tout ce qui se déroulait autour d'eux était ressenti d'une toute autre manière que pour les êtres humains normaux. Les sensations en étaient décuplées. Le côté anxiogène frappa Carmia de plein fouet, à peine avait-elle eût le temps de passer la tête à travers l'ouverture que formait la porte. Comme si une malédiction s'était abattue sur cette entreprise prospère, la sorceleuse n'en revenait pas de l'état des locaux. Ses yeux parcouraient à peine un quart de la pièce qu'une immense nostalgie couplée d'une tristesse l'accabla. Alors qu'une seconde intonation retentie, la Pianienne pointa le bout de son nez, et entra entièrement dans la demeure. Elle referma la porte et se sentit alors libre de mettre un mot sur ses pensées actuelles :

- " Bordel.. "

Pendant ce temps, elle ne dévisageait pas son père, mais plutôt les lieux, de peur de devoir enfin se confronter à lui, et à son absence.

C'était étrange, les lieux avaient changés, mais restaient étrangement similaires. Le désordre reignait dans la pièce, mais les fers à chevaux étaient toujours au même endroit bien qu'entreposés avec peu de soin, de même pour la  tapissera derrière le contrat, elle pourra même retrouver la petite poterie qu'elle avait faite toute petite, vraiment moche, elle devait le reconnaître, mais qui siégeait toujours sur le comptoir de son père, prenant la poussière, et enfin, l'alliance que portait son père, toujours présente, seul élément semblant ne pas avoir perdu de son éclat dans cette triste pièce. Mais elle n'aura pas tout le temps dont elle désirait pour faire l'inventaire des souvenirs qui habitaient cette pièce et elle fut interrompu par la voix grâve de l'homme qui lui demandera d'un air revêche après une nouvelle toux :  

-Tu veux quoi petite ?

Contemplant tantôt avec nostalgie, tantôt avec honte certains mobiliers et artefacts de la pièce, la Pianienne s'attardera sur ce qui produisait le plus d'éclat dans la pièce ; l'alliance enroulée autour du doigt de son père. Cette dernière brillait non pas par sa beauté, mais plutôt par la charge émotionnelle qu'elle représentait, et surtout le lot d'évènements qu'elle apportait. Aux yeux d'un inconnu, ce bijou n'aurait guère la même valeur qu'aux yeux de la sorceleuse. Elle pouvait presque, si elle se concentrait un minimum, entrevoir certaines brides du passé jaillissant de son alliage. Néanmoins, elle n'en eût guère le temps, puisque l'homme stagnant au milieu de la pièce l'interpellait. Et ce, comme une vulgaire inconnue.

- " Vous parlez de votre fille "

Le père de famille froncera les sourcils, son visage se refermant avec violence, l'homme qui semblait plongé dans une profonde torpeur se redressera animé d'une énergie nouvelle, ses muscles de travailleur se gonflant alors qu'un sourire amère au teint légèrement jaunie se dessinera sur son visage :

- Ma fille a été pris par ces satanés sorceleurs, comme mon fils. Alors cesse de jouer avec moi gamine ou je te fais sortir à coup de pieds au cul.

Répondra t'il d'un ton dur, ses yeux noir transperçant carmia sans sembler pour autant la voir, avait elle tellement changée, ou cet homme était il habité par le dénis pour ne pas reconnaître la chaire de son sang ?

Pas impressionnée pour un sou par la carrure - tout de même imposante - de son daron, la Pianienne ne sourcilla pas lorsque ce dernier se redressa. Il n'incarnait en rien sa phobie, alors il ne valait pas la peine qu'elle s'inquiète de cette hausse inopinée de colère. Droite, le torse se soulevant à de rares reprises - Carmia contrôlait sa respiration -, la sorceleuse ne bougera pas d'un iota.

- " Allez-y, mais après venez pas chialer de la perdre une seconde fois "

Sans doute que le minois angélique de Carmia avait été échangé contre une mine plutôt carnassière et revêche. Cette dernière était par ailleurs très remarquable actuellement.

- Mais qu'est ce que tu racontes gamine ?

Répondra t'il, cette fois-ci avec une certaine incertitude pointant dans sa voix. Il quittera lourdement son siège, se rapprochant de Carmia d'une manière menaçante sans pour autant se munir d'arme. Une fois arrivé à son niveau, il soulèvera son énorme main remplie de calle pour saisir l'épaule de la jeune fille sans ménagement, comme pour l'expulser avant de se figer soudainement. Ses traits toujours tirés mais la main auparavant ferme se mettant à trembler, il approchera la main de son visage afin d'en dégager quelques mèches, dévoilant le visage de Carmia. Lentement, il fit deux pas en arrière, un mélange de honte et de tristesse habitant maintenant son visage. Il bégaiera alors d'une voix roque avant d'être coupée par une deuxième quinte de toux qu'il n'arrivera cette fois pas à contenir :

- C'est, c'est, c'est vraiment toi, carmi, comment...

À vrai dire, lorsque son paternel eût l'idée d'envoyer valdinguer sa propre fille, Carmia eût envie de s'extirper de cet enfer, et de recouvrer l'air pur se trouvant en dehors de la pièce. Cependant, la demoiselle fût tétanisée, elle n'eût guère peur, mais ses membres refusèrent de lui obéir. Ils eurent bien fait. Ces derniers se raidirent lorsque Daltar recula d'embarassement. Les prunelles de la sorceleuse, bien qu'ambres, vinrent s'adoucir également tout comme les membres. Et à cet instant précis, il put observer un semblant de la Carmia d'autrefois.

- " Ouais... P'pa, c'est moi "

Un sourire mélancolique se dessinera sur le visage du vieil homme alors qu'une expression enfantine se dessinera sur le visage de Carmia, mais ce dernier disparaîtra en une fraction de seconde, se transformant en un profond accablement. Il reculera de quelques pas supplémentaire avant de se laisser choir sur son comptoir et de se prendre la tête dans ses mains :

- Mon dieu, mon dieu ma pauvre fille... pourquoi tu reviens... je suis tellement minable. Tu n'es pas obligé de me voir dans cet état. Tu peux repartir ton pauvre père n'a plus rien à t'offrir.

Débitera t'il d'une voix morne, suant la décrépitude dans l'ambiance terne de la pièce, Carmia semblait presque faire figure d'intrue, trop propre et trop jeune pour appartenir à ce décor.

Le pathétique du père troublera la quiétude de Carmia, mais en aucun cas elle ne s'émouvoira de la détresse de son père. Ce sentiment lui était presque inconnu, et là encore il ne paraissait pas.

- " J'en ai rien à foutre de tout ça, j'suis pas venue chercher d'l'argent. J'suis juste venue te voir et t'parler "

Mais Daltar ne semblait qu'à peine entendre Carmia, obsédé par sa propre déchéance :

- Mais de quoi tveux me parler. Jn'ai rien à te dire, je n'ai rien fait, rien accomplit depuis que t'es partie... j'ai juste attendu... Regarde la forge, ya plus rien, plus de client, et bientôt je pourrais même plus payer mes créances et jdevrais faire la manche... heureusement qut'es partie ma petite... Si t'étais resté... t'aurais jamais pu avoir d'bon... dis moi au moins que toi tu vas bien, pour ton vieux père.

Débitera t'il, entrecoupé de quelques éternuement, ses yeux sombres fuyant ceux de carmia alors que ses mains s'agitaient nerveusement le long de la table.

Voir son père s'égosiller sans prendre le temps de respirer, cela l'exaspérait plus qu'autre chose.. Serrant le poing et hésitant même à taper sur la table à laquelle s'accrochait le vieux sénile, la Pianienne se contentera d'intérioriser sa frustration naissante.

- " On s'en fout d'moi. J'veux juste savoir ce que j'ai raté, c'pas possible qu'y'ait rien eu "

Reprenant sa respiration, elle dira d'un ton plus doux :

- " J'veux aussi savoir si y'aurait pas un moyen d't'aider.. "

Daltar réagira à peine quand la piannienne pris d'un excès de colère frappera la table. La colère de sa fille était méritée. Et il méritait encore bien pire, continuant de détourner le regard il grommellera :

- Il n'y a rien eu, rien. Depuis... depuis que ta mère... que ta mère et morte que t'es partie...

Répondra t'il en s'étranglant presque à la fin de sa phrase, des sanglots lui montant spontanément aux yeux. Cependant il ne pleura pas, il avait déjà pleuré toutes les larmes de son corps. Il ne restait par une once de ce qui aurait pu faire de lui un homme. Mortifié, il répondra :

- Non, c'est foutu, la forge vaut plus rien, tout lmonde sait qule vieux Daltar vaut pas un copec, et bientôt, on jvendrais ma forge un autre jeune prendra ma place, et si je veux pas, on me bottera le cul et me prendra la forge de la famille pour rembourser mes dettes. Voilà, tout ça c'est foutu... je t'avais dit qu'taurais pas du revenir.

L'appel des souvenirs passés eurent un effet indésirable sur la demoiselle. Ses mirettes s'humidifièrent, pourtant son visage gardait la trace de la colère ; cela donnait un rendu assez singulier. Elle ne pleurait pas, elle n'y était plus habituée et perdre la face auprès de son père serait une insulte.

- " Non, au contraire, j'aurais jamais du partir "

Là où auparavant elle esquivait le regard de son paternel, la sorceleuse se tâta à plonger ses pupilles dans celles de son père, avec une certaine crainte de s'y noyer.

- " J'partirai pas tant que j'te serai pas à l'abris de la rue. Y'a un moyen de tout sauver-.. "Elle s'approcha vivement de son père, un regard presque menaçant collé aux yeux. " ..- alors crache le "

le paternel eut tout le mal du monde à soutenir le regard grâve de Carmia qui le fusillait du regard sans égard. Cependant, il ne pouvait plus lui échapper. Reniflant bruyamment, il laissera échapper dans un reniflement :

- Carmia... Je... T'es vraiment devenu un sacré bout dfemme là bas hein. Pas comme ton galopin de frère.

Il passera sa manche sur les yeux, tentant de reprendre ses esprits qui n'étaient plus claires depuis déjà bien des années :

- Il n'y a pas de moyens, juste l'argent... Et tout l'héritage, ce qui devait faire ta dote, tout ça, ça a été volé, le jour où ta mère est morte. Ce satané voleur, si jle retrouve, juis enfoncerait la gueule dans ma forge, lentement, jme ferais cramer à feu doux. Tu voix, il n'y a plus rien.

Soupira t'il en laissant tomber ses bras ballants, en signe d'impuissance. Ce voleur lui avait tout pris, sa femme, ses possessions, sa vie, et il s'était occupé de détruire lui même tout ce qui lui aurait permis de rebondir. Craintif, le vieil homme arquebouté attendra la réponse de sa fille, ses yeux noirs emplis de désespoir.

La Pianienne était prête à se retourner les méninges, fulminer intérieurement pour trouver une solution profitant à son père. Quitte à se séparer de son héritage, la sorceleuse n'en avait cure, l'important c'est qu'elle puisse partir, la quiétude dans la tête et son père sauvé du péril de la rue. Ses prunelles ayant quittées celles de Daltar, Carmia demeurait pensive.

- " De mémoire il était plus costaux qu'moi "

Une petite aparté légère, qui arrivera à décrocher un rictus à Carmia. Mais ce dernier fut vite emporté ; lorsque le sujet du voleur paru sur la table. Son regard remontera vers son paternel, plein d'incompréhension. Ses sourcils marquaient bien cela.

- " Qu'est-ce qu'tu raconte ? Cet enculé est mort à l'heure qui est "

Un profond silence, lourd comme une chappe de plomb, s'abattra sur la pièce, seulement troublé par les reniflement intempestif du vieux père, qu'il soit dût à la maladie ou au trou qui lui faisait maintenant office de maison. Au bout de quelques secondes, il reprendra, un profonde douleur teintée de haîne clairement perceptible dans la voix :

- je ne sais pas qui t'as dit ça petite, mais il s'est échappé... le sorceleur n'était ptêtre pas aussi bon qu'il disait. Il est venu, a fait fuir le voleur, t'as prise, et est repartie. J'étais un honnête forgeron, bien comme il faut, et ljour d'après jm'étais fait voler, ma femme était crevé et j'avais plus d'fille et mon con de gosse a disparu, et j'était tout seul. Vla tout.

Terminera t'il en refermant ses épaisses mains sur ses genoux.

À ce premier froid s'étant jeter sur la pièce, un second succèdera, et givra les deux interlocuteurs. Carmia, qui bouillonnait auparavant, venait ressentir en un claquement de doigt un froid glacial. Il lui gela le coeur et ses artères, lui fit ressentir un grand vide, mais aussi un grand mal. Stoïque, son visage s'était décomposé mais ne bougeait guère. Ses mains posées sur le chêne de la table ne palpitèrent pas, tout resta figé.
On lui avait, durant de nombreuses années, affirmé que le faquin s'était fait arrêter, et qu'il croupissait soit dans une geôle, soit était pendu à une corde. Ces deux visions idylliques n'étaient donc qu'une illusion. Ces visions qui la soulageaient le soir, n'était qu'un mensonge.

- " Putain "

Le pire pour elle, c'était qu'on l'avait prit pour une cruche impulsive, prête à semer la zizanie sur son passage pour retrouver celui qui avait brisé sa famille. Qu'on lui ait caché ou non tout les faits, cela ne changeait rien ; la cruche, elle allait définitivement le devenir.

- " P't'être que Phobos est parti à la recherche de c't'enfoiré. C'que j'vais pas tarder à faire "

Un énième sourire amère traversera le visage du vieil homme alors qu'il répondra :

- Phobos, t'y crois toi ? ce petit branleur a déjà filé jte dis. quand il est rvenu l'en voulait qu'à mon fric, l'aurait pas bougé un doigt. Ptêtre bien qu'il a cherché mais jte dis en deux saisons ça devait être plié pour, zouh plus dproblème. Il a même pas jeté à un oeil à son bon père et n'était même pas là quand ta mère s'est fait mettre en boite.

conclura t'il rageusement, son manque d'estime pour son fils semblant concurrencer dangereusement sa colère envers l'assassin de sa femme. Il s'adoucira néanmoins après un bref regard sur sa jeune fille. Il caressera alors sa joue de son épaisse main avant de rajouter :

- Enfin, jdevrais pas parler comme ça devant une femme. J'suis désolé ma ptite mais... C'est dur de srappeler de ça.

Il fallait dire que la Pianienne n'avait guère eu le temps de s'accoutumer à son aîné ; parti lorsqu'elle fut très jeune, elle ne pouvait garder un tête un souvenir ou une représentation claire et fiable de lui. Néanmoins, quelques songes le définissaient brièvement. Il s'agissait à ses yeux d'un jeune homme dyscole avec les autres, mais aimant avec elle, elle n'en gardait qu'un bon souvenir.

- " J'y crois, ouais. C'est p't'être un branleur, mais j'suis sûre qu'il fait d'son mieux "

Pour l'argent quémandé par son frère, elle n'avait aucune réponse plausible. Peut-être ce dernier était touché par la précarité ; lorsqu'on vit sorceleur, soit on risque de trépasser en combat, soit de famine. Carmia n'était pas certaine d'épouser un futur glorieux fait de contrats aisés.

- " En tout cas, il va m'prêter main forte. Dis-moi où il est parti, ou c'que tu sais "

Pour le geste affectif que lui tendra son père, Carmia malheureusement n'y prêtera pas attention, il fallait dire qu'elle avait perdu l'habitude de toutes choses.

Daltar soupira profondément ce qui lui revaudra une bonne toux avant qu'il ne réponde à la jeune femme d'une voix qui se faisait plus incertaine, plus fatiguée. Il n'avait plus l'habitude d'être en proie à une foultitude de sentiments aussi violent, ayant passé ses derniers mois dans l'apathie la plus profonde, et maintenant que ses émotions se stabilisaient, il subissait le violent contrecoup de sa rencontre avec la fille qu'il pensait perdue à jamais :

- Tu l'as pas vu, l'avait le démon du jeu dans les yeux. Fais gaffe à cette ptite fouine si tu le croise.

Il reprendra après une bref pause :

- Jsais pas où il est, mais il fait du bruit là où il passe. Même moi j'entends les damoiselles raconter des histoires sur lui. C'est po du jolie.

Prenant en compte chaque information sans en laisser une miette, elle ranima sa boite crânienne qui divaguait à quelques rêveries, le temps que son vieux père finisse son monologue à l'encontre de son aîné ; il pouvait être con, mais il représentait une aide dont elle avait fortement besoin. Dans cette affaire l'intelligence était primordiale, et ce n'était guère le fort de la sorceleuse.

- " C'est lui qui devra faire faire, on dit qu'j'suis pas commode "

Un air béat se dessina sur son faciès. Elle se redressera et s'apprêtait à se diriger vers la sortie, mais il lui restait une question à poser.

- " Celles du village ? Lesquelles ?"