La rue principale du faubourg

Elle acceptera son aide jusqu'au faubourg, ensuite elle reprendra le chariot.

Elle opine du chef, car elle aurait bien du mal à cacher son ventre gargouillant à un sorceleur de toutes les façons, tout en s'approchant du destrier...

- Oh mais tu es là toi aussi... Oui, un restaurant, pourquoi pas, je vous suis alors !

Acceptant l'invitation, et le laissant la conduire une fois en selle.

Ils avancent donc à un bon rythme, ni trop doucement ni trop rapidement afin de pouvoir continuer leur conversation facilement, vers les rues de la haute ville.

-La Ginguette, vous connaissez ? Je n'y suis jamais allé mais il a très bonne réputation !

Il lui jette un gentil regard.

- La Guinguette... Peut-être, mais en effet... Je ne sais pas si on pourra y entrer...

Elle le suit cependant.

Il hausse les épaules.

-Vous n'auriez aucun problème à rentrer, vous êtes ravissante ! Moi par contre ... disons pour faire simple que l'on a pas les meilleurs tailleurs de la région à Kaer Morhen, j'ai fait au mieux.

Une chemise blanche et un pantalon de toile ne restreignant pas ses mouvements, voilà ce qui constitue l’accoutrement d'Alban. Loin d'être mal habillé, il est loin de bien l'être. Si elle est observatrice, Jeanne peut peut être aussi remarquer l'anneau qu'il porte à l'index de sa main gauche.

-Mais nous n'avons rien à perdre ! Au pire ils ne nous acceptent pas, on n'aura qu'à aller ailleurs.

Un détail qu'elle n'eut pas grand mal à voir, cependant, elle s'était abstenue de faire une remarque jusque là, mais puisque le sujet de l'habillement est abordé :

- Vous avez de meilleurs joaillier, je suppose.

Sans répondre au compliment qui passa comme le vent. Au reste, elle le suit sans contredire.

Il jette un rapide coup d’œil à sa bague, à cet objet maudit lui ayant déjà causé tant de soucis.

-Oh ça ... c'est un mage qui me l'a offerte, elle ne vient pas directement du château. C'est un artefact très puissant mais aussi très dangereux.

Ils continuent donc d'avancer vers le fameux restaurant.

Une curiosité animant son visage, Jeanne demande :

- Ah oui, et en quel honneur ?

Demande-t-elle sans encore s'intéresser au côté "puissant" et "dangereux" de l'objet.

Comment peut-il répondre à ça ..? Il ne peut clairement pas lui raconter tout ce qu'il s'est passé dans l'arène, il n'en a pas le droit.

-Imaginez ça comme une récompense pour mon engagement. Il a considéré que j'étais un des apprentis les plus prometteurs et que je méritais cette bague.

Rien de tout ça n'est vrai mais Alban le dit sur un ton assez assuré, Jeanne n'a à priori aucune raison de douter de ses mots.

- Je vais me contenter de l'imaginer alors !

Rit elle, pas tout à fait convaincue, mais n'ayant pas de raison, effectivement, d'imaginer un complot ou un grand mensonge. Cependant, une question restait en suspens :

- C'est donc un objet magique... Que fait-il, pourquoi était-il dangereux ?

S'intéressant de plus en plus à l'artefact, s'approchant d'Alban, et se penchant légèrement pour observer l'anneau.

Il rit légèrement lui aussi, assez heureux que sa version modifiée de l'histoire soit passée facilement. Jeanne peut donc voir la pierre blanche, assez pâle, ornant sa bague. Un anneau qui pour quelqu'un ne maîtrisant pas une once de magie n'avait pas l'air si spécial que ça.

-Il permet de contrôler le vent, mais pas simplement pour faire souffler la bise, c'est quelque chose de beaucoup plus violent et puissant. Enfin, c'est ce que le mage m'a dit, et il avait sérieux. Heureusement pour nous tous, il est actuellement déchargé, c'est comme ça qu'on me l'a donné, je ne peux donc pas utiliser ses pouvoirs.

Anticipant sa question, il préfère répondre avant qu'elle ne la pose.

-Il ne m'a pas expliqué comment le recharger, il m'a dit que je trouverais par moi même quand l'heure sera venue. Les mages sont très vagues et mystérieux parfois vous savez ...

Elle le regarde avec un air désabusé, sourire aux lèvres.

- Vraiment ?

Un soupir plein de dédain file entre ses lèvres, et Jeanne se redresse.

- Je vous ai cru un instant. Honte à moi, on ne m'y reprendra pas !

L'air renfrogné, ses yeux se déposent vers l'entrée de la ville qu'ils atteignent désormais.

Il soupire, embarrassé.

-Vous pensez que je mens ..?

Il lui tend sa main gauche.

-Vous voulez une preuve qu'il est bien enchanté ? Ce même mage m'a dit qu'il était impossible que quelqu'un le retire de mon doigt, essayez donc.

Il lui lance un léger regard de défi.

-Si vous y parvenez, je suis prêt à vous offrir ce que vous voulez.

- Vous auriez pu trouver mieux comme excuse pour que je vous caresse la main, il en est hors de question.

Avec un air narquois, presque hautain, théâtral.

Il rigole doucement.

-Vous seriez prête à faire une croix sur le cadeau de votre choix juste pour ne pas avoir à me frôler la main ? Et bien, je dois dire que je suis légèrement vexé !

Il remet donc sa main sur la bride de son cheval.

Elle tendra sa main pour se saisir de celle d'Alban avant qu'il ne la "range".

- Pas de triche, et qu'une parole, monsieur l'apprenti prometteur ?

Avec un sourire espiègle.

Il lui sourit à son tour, à la fois car appréciant le contact physique direct qu'il vient d'avoir avec elle et à la fois pour lui témoigner sa bonne foi.

-Exact ! Faites de votre mieux.

Au fond, si Jeanne réussissait à retirer l'anneau, il serait encore plus heureux que si elle échouait. Quand bien même il aurait à lui payer quelque chose de probablement très cher, être débarrassé d'une telle malédiction, ça n'a pas de prix.

- Hhhnnnn!!...

Elle avait tout donné, sans considération pour la santé d'Alban... en vain. Elle lâche finalement son emprise, et bascule de l'autre côté du cheval, expirant lourdement. Puis, reprenant une posture digne, soupire avec dédain théâtral--encore.

- Ouas, vous vous êtes cloués un anneau au doigt pour impressionner les filles. Vous êtes définitivement irrécupérable sorceleur.

Elle agite doucement sa main gauche dont les extrémités des doigts étaient douloureux.

Il remue doucement sa main gauche dans les airs afin de faire passer la douleur.

-C'est que vous étiez prêt à m'arracher le doigt ! Et c'est que vous avez de la force dans les mains !

Il rigole doucement.

-Vous avez raison ... qu'est ce que je n'suis pas prêt à faire pour impressionner les demoiselles de Seig Lyn hein ?

Il regarde sa compagne, légèrement concerné.

-Vous ne vous êtes pas fait trop mal j'espère ...

- Qu'imaginez-vous donc, bien sûr qu'une paysanne a de la force, hmpf.

Elle regarde droit devant elle, observant la rue principale.

- J'ai vu pire, et vous ? Vos larmes sèchent vite dites-moi.

Sans même le regarder.

-Qui sait, vous auriez pu faire une très bonne sorceleuse !

Il le dit en plaisantant.

-Qu'est ce que vous racontez ? Vous m'avez à peine fait serrer les dents. J'ai vécu des millions de fois pire que ça ...

Il regarde lui aussi la rue dans laquelle ils avancent.

- Si vous êtes, vous, prometteur, sans aucun doute. C'est peut-être même pas encore trop tard.

Elle le regarde un instant du coin de l’œil.

- Si j'avais vécu des "millions" de fois pire que ça, je n'aurais pas même cligné des yeux.

Il rigole doucement face à la taquinerie.

-Malheureusement pour vous, on ne peut plus effectuer les mutations sur un enfant de plus de quatorze ans. Et puis, pour être honnête, souffrir le martyr pour ensuite être forcé à risquer sa vie face à des monstres, c'est moyen comme vie ...

Il croise rapidement son regard.

-Et bien ... une telle résistance c'est très certainement utile, je vous l'envie.

- Ah, c'est donc la raison pour la quelle vous emmenez les enfants si jeunes...

Jeanne sembla partir dans une réflexion, avant de reprendre.

- Je crois que l'on a déjà parler de cette facette là de la chose. Troqueriez-vous votre vie actuelle, pour redevenir celui que vous étiez ?

Elle le fixe, moins souriante.

Il opine doucement la tête.

-Exact ... On préfère aussi emmener des garçons plutôt que des filles, les mutations se passent mieux pour eux ...

Il hausse les épaules, la fixant dans les yeux.

-Si je n'étais pas sorceleur on m'aurait probablement envoyé dans un village de la région où vit une partie de ma famille, je serais devenu garçon de ferme et j'aurais sûrement épousé ma voisine ou quelque chose du genre. Aujourd'hui je risque ma vie à chaque contrat que j'accepte et j'ai une chance d'aider un peu les gens du coin face à leur existence difficile. J'ai retrouvé la fille d'un bûcheron, j'ai chassé un spectre qui hantait une maison et qui menaçait d'en tuer les habitants, et il me reste encore trois ans avant de finir ma formation. Entre une vie tranquille où je serais inutile et une vie de danger où j'améliore le quotidien des gens, je choisi la deuxième option. Me sacrifier pour la bonne cause ça ne me dérange pas tant que ça.

Un bien long monologue très révélateur de sa manière de penser. Son regard revient se poser sur la rue.

Le discours d'Alban ne l'émeut guère, elle haussa les épaules et répondit avec détachement.

- En quoi est-ce "moyen", dans ce cas ?

Il hausse à nouveau les épaules.

-Car on nous fait porter beaucoup de poids sur nos épaules. On ne nous considère aussi jamais vraiment comme des êtres humains ... On inspire la peur chez beaucoup de monde. Et puis je sais aussi que je suis quelqu'un à part parmi les recrues de Kaer Morhen. Beaucoup de gens ne supportent pas le fait d'être sorceleur et seraient prêts à tout pour avoir une vie normale.

Il soupire.

-Mais j'aurais cent fois troqué ma vie d'apprenti sorceleur pour celle d'un apprenti mage, ce sont eux qui ont tout le pouvoir, nous ne sommes que des pions.

- L'on dit cela. Mais qu'en savez-vous, à Seig Lyn, vous vous fondez dans la population, presque...

Lorsque ce n'était pas le cas, c'était en raison de bêtises commises, alors bon.

- Je pense que c'est de la fausse humilité, que de vouloir une "vie normale". Mais qu'en sais-je moi, je ne suis qu'une fille de paysans.

Elle l'écouta, acquiesçant.

- C'est la liberté par le pouvoir que vous désirez ? À quelles fins ?