Le réfectoire

Le dos droit, ses fines pattes vinrent se nouer derrière son dos.

- Et bien, je voulais savoir: si je veux aller à Ban Ard, je dois m’y prendre comment? Je dois payer quelque chose?

Simple, concis, clair, tout ce que Valaar aimait, non?

Valaar papillonne des yeux durant un court instant, signifiant un exagérément long moment pour Lucius.

- ... Il vous faut demander une autorisation de vous soustraire de votre rôle de sorceleur, pour une durée déterminée ou indéterminée : cela se fait via une lettre envoyée aux autorités. Ard Carraigh pour la province de Kaedwen. Autorisation obtenue, il faut faire sa demande d'entrée à Ban Ard : les grandes écoles ne prennent pas n'importe qui.

Soutenant le regard de Lucius en prononçant ces derniers mots.

- Evidemment les Grandes Ecoles de Magie sont chères, et je doute que vous ayez les fonds pour vous payer ne serait-ce une année là-bas.

Sans même parler du fait que Lucius n'était pas nécessairement assez doué en magie à l'heure qu'il est, pour espérer une entrée à Ban Ard, ou même l'Académie Magique de Nilfgaard.

Clair, concis.

Tandis qu’il l’écoutait, les espoirs de Lucius s’envolèrent, et, il répondit d’un simple mot, déconfit.

- Ah...

Il souffla, un peu déçu, gardant ses insultes pour lui, et tourna le dos à Valaar pour aller faire ce qu’il était supposé faire, s’entraîner.

La question qu'avait posé Lucius était somme toute académique et avait déconstruit les espoirs qu'elle avait placé en son aîné, et ceux selon lesquels elle aurait eu une réponse au phénomène subit par leur havre de paix.

La sorceleuse novice s'arrêta, et notq quand même les informations, pour son cas. C'était secondaire, mais ça apportait des connaissances autre qu'elle n'avait pas.

Salazar pouvait bien attendre un peu, ce n'était encore que le matin. Et la fraîcheur douce et spontanée de cette période pouvait rendre ses propos réceptifs vers la figure d'autorité.

- Bonjour. Je vous pris de m'excuser mais j'ai a mon tour une réflexion et une question qui m'est restée en tête depuis un an à peu près, depuis l'animation de la forteresse. Je pourrais vous la partager en espérant une réponse en retour, monsieur ? Osa la roturièrre proche de la table royale

Tandis que son repas était déposé devant lui par le personnel du réfectoire, Violette arrive.

- Bonjour.

Répond-il d'abord, puis écoute le reste de ce qu'elle a à dire.

- Cinq mois donc.

La corrige-t-il. Cela faisait cinq mois, pas un an.

- Je vous écoute.

Toujours de sa voix grave et monotone, acceptant de reporter son repas.

Cinq mois donc. La notion de temps était imprécise, et en effet, elle déjà novice. C'était une maladresse de corrigé pour un sourire polie et conciliant.

- Je me demandais si cette animation invoquant des sortes de follets venue probablement de l'éther, était le résultat de votre absence. Comme si la forteresse avait sa propre essance et essayait de remplir un vide par la multiplication de ses murs, ou par respect pour vous en empêchant nos pieds de fouler son sol, en nous soustrayant.

Cependant, ne serait-ce pas plutôt une épreuve de votre fait voulant tester notre esprit d'équipe, nos réactions à une situation problématique, en absence d'encadrement ?

La sincère fillette fit une pause avant de conclure.

- Pourriez vous m'expliquer dans quel but la forteresse a été animée, s'il vous plaît ?

Valaar écoute, avec beaucoup de patience, la description irritante par sa maladresse, que Violette fait de cette histoire. Il la laisse finir, et répond donc ensuite après un court temps de pause, comme avec Lucius.

- Des sortes de follets...

Répète-t-il pour commencer, avec un dépit que son intonation trahissant. Il fallait dire que Valaar ne faisait pas un grand effort pour dissimuler ses sentiments, du moins à cet instant précis.

- En quatre mots mademoiselle Violette : je ne sais pas. Je sais en revanche que l'esprit des jeunes est aussi azimut que Kaer Morhen lors de cette fameuse nuit.

Il n'en avait pas été témoin, mais on lui avait raconté, bien évidemment. Ou bien savait-il tout depuis le début, en tant que maître de cérémonie ?... On pouvait spéculer, mais on ne pouvait deviner si le sorcier disait vrai ou non.

- La matière inerte n'a pas de conscience, et même si elle en eut, je ne suis pas celui pour lequel la forteresse courberait l'échine...

Valaar humble? Il souffle du nez en tous les cas, commenter la théorie abracadabrantesque de Violette avait quelque chose s'amusant... Ou alors était-ce un simple soupir nasal ?

- Ensuite : lorsque j'étais absent, vos autres maîtres étaient présents. Vous les insultez en évoquant une "absence d'encadrement". Et je les aurais insulté aussi, si j'avais agi comme vous vous l'imaginez...

Voilà sa version des faits.

- Maintenant, pour étancher votre curiosité : nous avons supposé que le passage d'un puissant génie de la Terre, était sans doute la raison de ce tumulte. Un événement éminemment exceptionnel...

C'était en tous les cas la théorie principale. Maintenant, Violette ne savait pas nécessairement ce qu'était un génie, encore moins un génie de la terre. Mais la bibliothèque était là pour cela, si besoin.

- Est-ce tout ?

Pas que sa présence l'ennui - si, mais il avait un repas à prendre. Car Valaar aussi, mangeait, et pas que des petits enfants...

L'oreille attentive conforta la lancée maladroite de la jouvancelle, dans ses théories azimut. Les follets évoqués étaient ceux qui, dans son esprit, était l'essance, sus nommée, ayant animé la forteresse. Mais dans sa gorge serrée, ça avait été brassé. L'entité était alors la forteresse.. Valaar l'avait une fois de plus corrigé.

Un pincement de lèvre appuya la répétition dépitée du professeur.. les follets n'avaient donc rien à voir là dedans ? Lui non plus ?

-  Tant est si bien que le manque que nous avons tous à notre tour ressenti n'était tourné que vers vous..

Violette speculait bien, et n'écartait pas la curieuse convergeance curieuse qui impliquait le sorcier, manifestement absent.

- Et les genies? Tenta-t-elle d'élucider.

Le soufflement du nez ironique était pour elle un signe. Il s'agissait de genie de la terre? Dans l'imaginaire collectif n'étaient ils pas liés à un maître ? Sa trogne était très surprise et captivé. Elle aura tôt fait de se renseigner auprès de la bibliothèque, mais chaque choses en son temps.

- Je m'excuse si j'ai parru enfocante mais.. nous ne les avons pas croisé mais appelé en vain. Nous ne devions pas être au même niveau..

Enfin, Lucius avait appelé. Elle croyait l'entendre parfois, ou encore une fabulation qui sais ?

- Je vous remercie beaucoup. J'ai seulement remarqué que nous voyons comment faire des bombes de fumée inflammable mais pas de simples fumigènes. Je me disais que ce serait aussi intéressant de connaître la confection de simple fumigène.. voilà tout ce que j'avais en tête monsieur.

L'impudente souria, les mains dans le dos.

- Je vous remercie encore d'avoir pri de votre temps de déjeuner pour m'écouter.

La fabuliste se dirigera vers la porte une fois les réponses du sage reçues.

Valaar s'éclaircit la voix par de lourds toussotements, une fois que Violette a terminé sa longue réponse. Les traits de son visage sont inchangés, sinon plus abrupts en lasse neutralité qu'avant.

- Concentrez-vous, et parlez distinctement. Vos interlocuteurs n'ont que faire d'étudier les runes que vous formulez de si bon matin...

Entonne-t-il pour commencer, car en effet, Violette était difficilement compréhensible, et le mage n'aimait pas l'excessivement et inutilement compliqué.

- Ils dormaient, comme la majorité de la forteresse, élèves y compris. Quant aux génies : la bibliothèque a tout le temps et la patience pour vos questions.

Et alors qu'il pensait cette entrevue close, elle en rajouta avec une question encore plus farfelue pour les oreilles du magicien.

- Mais par le Grand Soleil... Que voulez-vous faire avec des fumigènes ? Et où avez-vous même entendu ce terme...

C'était peut-être une idée intéressante, mais pas pour Valaar, pas à ce moment là, pas après le déroulé de cette conversation... Il soupire, et lui intime d'un regard, de s'en aller.

Violette s'en alla bien, tournant sa langue dans sa poche. Ses formulations se voulaient enrichie car elle était en présence d'un professeur, plus haut hiérarchiquement. De bon matin, elle s'en mordait les doigts.

Vexée, la novice disposera sans plus de blabla.

Sa déception qu'elle venait d'essuyer plus tôt dans les corridors supérieurs de Kaer Morhen, elle espérait ne plus la revivre ici. Multipliant ses chances de tomber dessus, elle se rendit dans un lieu où les allers-retours des habitants du castel étaient plus fréquents ; le réfectoire. Carmia, qui était partie du dortoir dans une précipitation folle, n'avait guère pris le temps de vêtir ses pieds, qui demeuraient nus dans un lieu qui malgré l'heure tardive, devait être bondé. Elle n'aperçut ce détail qu'au seuil de la salle, et ne s'en préoccupa pas plus que nécessaire. Les yeux hagards et l'air revêche, elle ne prit même pas le temps d'observer la pièce dans ses moindres détails pour maugréer gravement :

- " Dragieb ?! "

Qu'importe s'il n'était pas là, elle n'avait pas envie d'inspecter méticuleusement les alentours pour en arriver à la conclusion qu'il n'était pas dans les parages ; l'absence ou non de réponse allait l'en assurer.

Les nuits étaient à l'époque aussi noires que l'encre, et le froid mordant, nulle lampes et pas de chauffage. En conséquence, deux solutions s'offraient au commun des mortels une fois le soleil couché: aller se réfugier sous des couvertures, ou passer son temps au coin du feu, à table, à écumer les fonds d'écuelles ou de bouteilles. C'était cette deuxième solution qu'avaient choisi le sorceleur et la bonhomie qui l'accompagnait partout, assit seul à la table des adultes à quelques mètres du feu qui léchait la silhouette du chasseur de sa chaude lumière. Quelques restes se trouvaient ca et là sur la table, ainsi que des verres et des bouteilles vides. Dragieb, dans son coin, n'avait pas de suite entendu Carmia qui dut s'approcher ou s'y reprendre afin d'attirer son attention.

- Hum? Carmia? Tu as vu un blême ou bien?

Manifestement pas éméché contrairement à quelques hères du secteur, il semblait sortir sinon d'une réflexion profonde, au moins d'un moment de légère absence qui n'avait pas été troublé par les autres occupants du lieu qui étaient une petite vingtaine. Le réfectoire commençait à se vider.

C'est finalement au détour de ces lieux qu'elle finit par le trouver. La Pianienne aurait préférée un minimum de confidentialité pour cette entrevue, mais vraisemblablement la salle commençait à son arrivée à se désengorger de ses occupants, du moins ses anciens occupants. C'est avec un brin de soulagement que Carmia accueillera la réponse de son aîné, et c'est sans se faire prier qu'elle se dirigera vers la source de ce son, dont les décibels résonnaient encore dans ses oreilles du fait de la joie qu'ils lui avaient provoqués. Une joie, bien évidemment, qu'elle n'avait pas dépeint sur son faciès, qui demeurait blafard.

- " Non.. Enfin si.. Merde c'est compliqué. Ne me demandes pas pourquoi maintenant, ni pourquoi tout court. Notre dernière discussion, je veux la finir, maintenant, sur le champ, sans non-dit, sans faux-semblant."

Après cette désinvolture mal venue envers un adulte, l'émérite laissa une certaine accalmie l'apaiser, avant de reprendre, l'air bougonne :

- " J'm'excuse pour la dernière fois "

Cela était peut-être un mirage, une parole illusoire, un mensonge dans la bouche d'une jeune demoiselle simplement désireuse de tirer parti de cet échange, qu'importe les procédés usés.

Dragieb qui s'était partiellement retourné à l'arrivée de la presque sorceleuse passa une jambe au dessus de son banc pour lui faire face tout en retenant un soupir. La précédente discussion ne lui avait pas été agréable, les conflits entre personnes ne lui étaient de toutes manières pas agréables d'une manière générale, qui plus était lorsqu'il s'agissait de son enfant surprise.

- C'est oublié. Déclara t-il suite aux excuses de Carmia qui ne serait sûrement pas surprise de la réaction du sorceleur: il était bon, et sûrement plus proche des recrues qu'il ramenait que de raison.

Il avait agité la main suite, comme lorsque l'on chassait une mauvaise odeur, ou, comme ici, une mauvaise pensée. Il était satisfait d'avoir retenu son soufflement, puisque la jeune fille semblait être venue en paix.

- Allons en discuter dehors, veux tu. Il pressa ses mains contre ses jambes pour se lever. Cela ne regarde que toi, n'est ce pas?

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Elle opina sans plus, puisque ces lieux ne devaient rien savoir de plus que ce qui avait déjà été dit, il en avait déjà trop appris...

- " Ouais, exact... "

Même ses paroles semblaient veules, léthargiques, tout comme son visage ; la discussion allait-elle enfin aboutir ? Si c'était le cas, qu'allait-il lui dire de plus ? Était-elle réellement heureuse d'avoir obtenue satisfaction ? Tant de questions qui resteront en suspend dans cette salle, car Carmia les abandonne ici pour s'en aller sur la place des vérités, celle qu'ils avaient occupés il y a un an...

Vide, le réfectoire n'accueillait qu'Isidir et les tréfonds de son âme. Les tourments de celle-ci se libéraient en un flot de parole que la pauvre pomme tenait à supporter: il était difficile pour un fruit d'alimenter et de répondre à la personne le tenant entre ses mains, ne laissant donc qu'en lieu et place un long monologue ne trouvant écho qu'entre les quatre murs de la vaste pièce.

-On est là hein.

Isidir leva les yeux vers la voix, un peu surpris.

- Gné ?

Il eut beau observer aux alentours rien de qui était ici n'avait le don de parole, comment en aurait-il pu en être autrement. Sa conscience se laissait-elle empoisonner par toutes les futiles questions l'assaillant ? Le doute et l'amertume étaient deux pestes qu'il fallait chasser de soi.

-Que cherches-tu ?

Isidir papillonna des yeux, et se redressa net.

- Oula ! T'es qui, t'es où ??

Il se leva, et commença à parcourir le réfectoire en tournant sur lui même, cherchant à voir sur les murs ou ailleurs. Ses sens lui permettaient-ils de détecter quoi que ce soit ? Son médaillon peut-être ?

Nulles réponses ne vinrent à ces deux questions ni même d'ailleurs de son médaillon ou de ses sens surhumains. Ce n'était pas d'ailleurs une voix à proprement parler qu'il entendait, enfin si mais pas audible de ses oreilles: il n'y avait qu'en son for intérieur "qu'elle l'était".

-Que cherches tu ?

Un disque rayé, "la chose" se répétait.

- Qu'est-ce que...

Isidir se mit une tatane sur la tempe, puis plissa les yeux, et se calma.

- J'sais pas moi... Et toi ?

-Tu te poses des questions ... le doute t'assaille. Pourtant tu dois avancer sans t'en préoccuper.

Le présent est au passé ce que le futur est au présent. Nul ne savait de quoi était capable le lendemain, car de trop nombreux chemins pouvaient être parcourus, Isidir devait juste prendre le bon.

-Que cherches tu ?

- Je... Oui ?...

Hasarda-t-il à voix haute, sans vraiment trop savoir à quoi il répondait. Après un certain moment de réflexion, et de mots jetés dans le vide, il marmonna :

- L'aventure... La gloire...

-Nuls de tes paires ne saura reconnaître tes actes de bravoure, dans le commun des mortels tu ne seras qu'un mutant à peine humain, si tu ne leur attires plus le dégoût de tes ancêtres sois sûr qu'ils seront à même de te juger comme une monstruosité à peine humaine.

La voie est close, la gloire était l'une d'entre elles, faites par ceux qui sont morts et les morts la gardent jalousement.

-Que cherches tu ?

- ... Et Geralt ?!

S'exclama le jeune homme, pas encore abattu.

-Geralt est une légende dont l'histoire tient du mythe héroïque. Emprunter ce chemin tortueux te mènera droit dans une impasse: la gloire est un trésor sauvagement gardé par tes paires, il te faudra combattre, un combat dont tu connais pas l'issue mais qui s'avérera d'une violence implacable. Il te faudra lutter contre des forces qui dépassent ton entendement.

La voix inaudible lâcha comme un soupir, Isidir pouvait le sentir, ou plus précisément le ressentir dans sa tête.

-Cette voie est close dorénavant, le destin en a voulu ainsi. De tes aventures il ne restera que de futiles traces: celles que tu laisseras dans l'imaginaire des gens que tu croiseras sur ton chemin.

Au fur et à mesure de l'étrange conversation que le sorceleur en devenir menait avec ... cette chose, la voix lui parlant devenait de plus en plus lointaine, comme un murmure lancé au vent demeurant tout de fois compréhensible.

-Il faut que tu trouves ta voie Isidir, tu dois prendre la bonne. Ne laisse pas le doute t’assaillir et chasse tes démons. Trouve la voie.

Et comme un adieu, le murmure se fit toujours plus faible jusqu'à disparaître entièrement, emporté par l'on ne savait quoi.

-Que cherches tu ?

Vide, il était de nouveau "seul", il le savait. Mais ne l'avait-il jamais été ? N'était-ce pas un de ces jeu d'esprit que les tourments avaient parfois bonne grâce à infliger ? Nul ne saurait répondre à cette question là, en revanche Isidir lui savait ce qu'il devait trouver et à quelle question répondre. Ce songe, simple brouillard dans les rêves d'un homme qui venait de s'assoupir au milieu du réfectoire n'en demeurait pas loin d'une réalité tranchant avec le monde alentour ...