Chambre d'Eskel

Si Esperanzia avait put être sourde aux toquements sur le bois, ce ne put être le cas d'un sorceleur, encore moins d'Eskel. En deux siècles, le forcené avait connu que peu de fois un sommeil de plomb, cette nuit ne saurait faire partie de ces exceptions : le balafré n'avait pas pour objectif d'être le premier sorceleur à mourir dans son lit, de l'une, et encore moins de manquer à son devoir envers ses protégés, en les laissant seuls affronter l'ombre menaçante planant au dessus de la forteresse. En bref, il dormait que d'un œil, ou plutôt d'une oreille, et c'est rapidement qu'il se leva pour venir ouvrir, fusée de sa lame d'argent serrée par la dextre.

Alban avait eu tout le luxe d'entendre son maître se lever, et se déplacer jusqu'à la porte, puis enfin de le voir lorsque celle-ci s'ouvrit :

- Alban ?!

Demande-t-il grave. C'était la première fois que l'on venait le chercher à sa chambre, depuis des décennies.

Il passe une main dans ses cheveux, un peu embarrassé par la situation.

-Bonsoir Eskel ... désolé de te réveiller en plein milieu de la nuit mais c'était nécessaire ...

Il sort le vieux médaillon de sa poche, et le tend à son maître.

-Un certain Casferd veut te voir, si j'ai bien compris il est mort dans le coin y'a quoi ... deux-cent ans ..? Il est euh ... dans le médaillon.

Eskel fronce les sourcils, puis papillonne des yeux avant de se les frotter en relâchant son arme. Pendant quelques secondes, il regardait littéralement Alban comme s'il venait de voir un fantôme...

- Qu'est-ce que ?...

Ses yeux dérivent bien sûr sur le médaillon, et avec une anxieuse circonspection, sa main s'en saisit.

Il détourne légèrement les yeux, un peu gêné d'assister à de telles retrouvailles.

-J'ai quand même une sacré chance pour attirer tout ces trucs à moi ... Ou alors je suis maudit ...

C'est ce qu'il se murmure à lui même, très bas, peut être qu'Eskel peut l'entendre.

Alban ne sait pas vraiment comment réagir, jamais de sa vie il ne s'était imaginé devoir assister à une telle conversation. Il se sent triste pour ce pauvre Casferd, amputé de sa jeunesse et d'une vie possiblement heureuse. Qui sait, il aurait peut être même pu lui enseigner l'art de l'escrime aux côtés d'Eskel et de Lambert. Il garde le regard bas, n'osant pas regarder directement ni son maître ni le fantôme. Alban ne connait pas vraiment toutes les histoires qui entouraient la forteresse, et il n'avait jamais vraiment entendu parler des autres écoles de sorceleurs. Il est en tout cas bien heureux que celle du chat aie cessé d'exister, ses membres semblaient être de parfait salopards.

-Je l'ai trouvé pas loin de là où je m'entraîne, dans la forêt, au début j'étais content car j'avais perdu le mien, de médaillon, je m'attendais vraiment pas à ça ...

Si Eskel se baladait dans la forêt de temps en temps, il était probablement déjà passé près de ce petit coin des bois où tout les arbres étaient marqués par les féroces griffes de l'horrible créature en laquelle le jeune adolescent pouvait se transformer. Il hausse les épaules face à la question de Casferd.

-Dans les deux-cent ans je dirais, peut être plus, Eskel en a peut être une idée un peu plus précise. Le monde a pas mal changé depuis, ça va te faire bizarre ...

La gravité ayant trouvé foyer sur le visage d'Eskel peinait à s'en aller. Il écoutait silencieux, son regard, profond, dérivant sur Alban lorsqu'il reprit la parole. Quelques secondes s'écoulèrent ensuite, laissant ses interlocuteurs accrochés à ses lèvres mi-ouvertes, mais incapables d'enchaîner les mots immédiatement.

- ... Nous savons tout mon ami.

Parle-t-il enfin.

- Tes assassins sont morts depuis longtemps.

Un regard perdu dans l'horizon muré désormais, comme s'il se remémorait les événements.

- Tes maîtres et camarades aussi. Ne vivent aujourd'hui que le petit Lambert, et Geralt... Vesemir nous a quitté il y a un siècle, et nous sommes en 1381...

C'était les seuls noms que Casferd devait connaître des vivants, et "récemment" morts. Cela impliquait aussi que Vesemir et Lambert avaient été les survivants du massacre, puisqu'Eskel et Geralt étaient sur la Voie lorsque le tragique évènement se produisit.

Un regard grave remonta, et perça l'esprit. Il était bientôt temps de parler des choses délicates...

Il écoute en silence la discussion entre les deux anciens, il n'a rien à dire pour le coup, il ne connait en rien cette histoire de massacre. Vesemir ... Il avait dû en entendre vaguement parler, tout au plus, c'était en tout cas quelqu'un qui semble avoir marqué tout les sorceleurs de cette époque reculée. Il se doutait quelque peu du sort qui risquait d'être imposé à ce pauvre adolescent éthéré, on allait sûrement le faire disparaître, et il trouvait ça cruel. Il profitera d'un blanc dans la conversation pour dire sur un ton un peu hésitant.

-Casferd ... j'ai à peu près l'âge que tu avais lors de ta mort, ça te dirais de rattraper le temps perdu ? J'veux dire, j'ai plus de médaillon, tu pourrais m'accompagner dans mes voyages, tu pourrais m'aider, j'en sais rien moi ... Je pense que c'est mieux que de disparaître à tout jamais. C'est une bonne idée non ?

Il tourne les yeux vers Eskel, cherchant une pointe d’approbation dans son regard.

- Comme un sorceleur.

Répondra stoïquement Eskel, c'est tout ce qu'il y avait à savoir : qu'il n'était pas mort dans son lit.

- ...

Aucune réaction de la part d'Eskel, qui intérieurement inquiet, se demandait les raisons du calme apparent de l'esprit, qui ne montrait aucune hargne justement. Et maître sorceleur savait se méfier du calme avant la tempête... De plus, il n'était pas idiot de faire le lien avec les derniers événements dans le château. Était-ce lui ? La possession du château, la détresse, la volonté d'empêcher les sorceleurs d'atteindre les armes ? Eskel fronce subrepticement les sourcils. Il voulait répondre à Alban, mais ne pouvait prendre le risque de le faire ici, comme ça, froisser un spectre était dangereux, pour l'élève qui se tenait juste là notamment, qui pouvait se faire déchiqueter en un instant si l'esprit en décidait ainsi... Ainsi, c'était une profonde tension que le vieux sorceleur réprimait.

Il passe une main dans ses longs cheveux, se grattant quelques secondes la tête. Le silence d'Eskel voulait tout dire, ce n'était pas si simple que ça. Il n'y connait absolument rien en fantômes, si ce n'est qu'ils sont reliés à la mort de quelqu'un.

-Je suis désolé, j'y connais rien en spectres moi ...

Il jette un regard légèrement inquiet à son maître, l'évocation d'un possible "déchaînement" du fantôme lui avaient fait prendre conscience de la possible dangerosité de sa position actuelle. Il tente néanmoins de garder son calme.

-C'est quoi un Pénitent ..?

- ... Les pénitents sont les spectres hantant les Hommes coupables de graves choses... Casferd en a été épargné, car ses meurtriers ont été jugés et punis...

Un silence prend la relève avant qu'Eskel ne reprenne.

- Te souviens-tu de tes rêves ?

Prudemment.

Voilà une bien sibylline manifestation d'un esprit, songeait Eskel. Mais il n'était pas dupe pour autant, une émotion négative profonde, peut-être encore dormante, dont Casferd n'avait pas même conscience, était nécessairement la raison de son retour parmi les vivants... Mais c'était peut-être possible de l'exorciser par la méthode douce, et le hasard... non, le destin avait mit ce médaillon sur le chemin du seul élève apte à sauver cette âme souffrante : Alban. C'est vers lui qu'Eskel dépose désormais son regard.

- La flamme de Solem ne s'est pas éteinte avec lui. Si tu ne peux toi même plus la porter, et c'est ainsi, tu peux toujours transmettre le flambeau aux générations futures... Ce jeune homme que tu as à tes côtés, il partage un but similaire. Il en parlera mieux que moi...

Un maigre sourire se forme enfin sur le visage d'Eskel.

Casferd ne l'avait exprimé, mais son avis convergeait vers celui d'Eskel: étant de l'ancienne école, l'esprit avait une croyance particulière envers le destin, et il était certain qu'il n'était pas resté -car son esprit n'était pas revenu mais bien resté dans ce plan- dans le monde des vivants pour rien. Là était désormais l'abyssale question qui le taraudait: pourquoi lui et pas un autre? Pourquoi le destin l'avait il mit ici? Pourquoi n'était il pas mort comme tout les autres? L'école du chat avait disparu, il ne pouvait venger les siens, il ne pouvait combattre les monstres dans cet état, alors pourquoi? C'était ce qu'il allait devoir découvrir en vivant aux côtés des sorceleurs de cette époque.

- Je ne suis certain de rien, sauf du fait que je ne sois pas ici pour rien. Le Destin a empêché mon esprit de rejoindre le royaume des morts pour une raison et je la découvrirai, que cela soit en lien avec le rêve de Solem ou pas.

Ce vieux rêve était pour lui lettre morte, il pensait à cet instant qu'un autre objectif l'attendait. Et accompagner Alban serait sans doute le meilleur moyen de trouver ce que le destin avait choisi pour lui. Il accompagnerait Alban sur sa Voie, à défaut d'avoir pu suivre la sienne.

Il sourit à Eskel, à la fois un peu gêné par le poids qu'il mettait sur ses épaules et à la fois content qu'il permette au fantôme de rester. Casferd serait sûrement bien plus que le fantôme de son médaillon, il serait aussi aussi l'assurance pour le jeune sorceleur de ne plus jamais se retrouver tout seul. Après tout, qui peut se venter d'avoir un ami fantôme constamment à ses côtés ? Il aidera donc ce fantôme à comprendre pourquoi diable il hante encore ce foutu continent. Il opine en direction du spectre.

-T'as en face de toi le plus ambitieux de tout les apprentis de cette forteresse ! On vivra mille aventures ensemble, et je ferais de mon mieux pour porter aussi haut que je peux les idéaux qu'on partage. T'aurais pu plus mal tomber, celui qu'a ramassé ce médaillon, ça aurait pu être Poddrick ... ou encore pire, Milena ! J'imagine même pas tout ce qu'elle te ferais subir ...

Il prononce la fin de sa phrase avec une pointe d'humour, le rire vaut bien plus que les larmes, c'est l'un de ses dictions. Il offre son plus grand sourire au fantôme, rayonnant de bonne volonté et d'un profond désir de réussite.

Alban semblait ne pas avoir bien compris ce que qu’Eskel sous-entendait, et cela le mettait bien dans l’embarras. Le Maître Sorceleur ne pouvait permettre à un spectre de fouler impunément la terre, surtout pas celle se trouvant entre les murs de ce château. Ce spectre était un potentiel danger pour tout le monde ici... Cependant, comment s’y prendre? Un élève était présent, trop jeune et assez naïf pour s’aligner sur les idées d’un spectre, et, ce spectre-ci, bien qu’un ancien ami, ne faisait pas exception à la règle: il fallait l’exorciser. Mais, Alban étant présent, la tâche allait s’avérer ardue: au moindre mot mal choisi, Alban pouvait être réduit en charpie si vite que ni lui ni Eskel n’auraient même le temps de dégainer leurs lames.

- ...

Il soupira longuement, regardant Alban d’un air grave.

- Je pense que Casferd pourra t’expliquer pourquoi ce ne sera pas possible... Il a été formé tout comme toi, il sait bien ce que sa condition implique..

Effectivement, si sa condition actuelle était curieuse, Casferd savait qu'il y avait un risque que son esprit ne soit pas entier, et qu'une part de mal réside en lui, un mal assez dangereux pour qu'il doive être contenu.

- Il y a plusieurs types d'esprits. Des bons, des mauvais, des mauvais qui deviennent bons.

En ce monde, Sommeillards et Pénitents se côtoyaient, et il était bien difficile de connaître à l'avance la nature de ces manifestations.

- Mon esprit a été enfermé dans un médaillon après que j'ai été tué, il est possible que je sois un esprit vengeur. Imagine que je me balade dans ta poche et qu'un lieu du château me cause un traumatisme, prendrait tu le risque que je te réduise viande hachée après avoir perdu la raison? Certains esprits sont en apparence calmes mais peuvent devenir plus que dangereux si agités.

Il y avait cependant un cas de figure auquel Casferd n'avait pas pensé concernant son cas, mais qu'il avait pourtant évoqué: celui des bons esprits, ou plutôt des mauvais qui devenaient bons. Mais cela était bien nébuleux: les esprits étaient chose difficile à appréhender...

- Eskel, ne peut on pas me sceller d'une quelconque manière dans le médaillon? Ou de me coincer dans une salle avec un Yrden permanent? Le temps que je sache moi même de quoi il retourne. Je ne veux pas devenir ce qui m'a tué.

En deux siècles se disait il, la magie pouvait peut être permettre de faire cela?

Il grimace légèrement, la situation semblait légèrement plus complexe que ce qu'il avait imaginé. Il se sent bien naïf d'avoir pensé qu'étant donné que ce fantôme avait l'air gentil et sympathique il le serait pour l'éternité. Peut être bien qu'il leur ment sur ses réelles intentions quand à elles bien plus funestes ... Alban en doute.

-Je n'y avais pas pensé ... Mais le fait qu'il en soit lui même conscient nous montre bien qu'il est plein de bonne volonté Eskel ! Je suis sûr qu'une magicienne aussi expérimentée qu'Esperanzia pourrait nous aider à régler tout ces problèmes. Si on sait qu'il ne peut faire de mal à personne, même dans les pires circonstances, il pourrait rester avec moi, non ?

Il regarde Eskel dans les yeux, à la limite de l'imploration. Avant tout Alban n'a pas envie que la vie de ce pauvre garçon se résume à vivre quinze ans puis disparaître sans aucune forme de procès. Il a au fond de lui l'envie de lui faire voir les choses qu'il n'a jamais vu, et peut être bien lui faire vivre, du mieux que possible tout du moins, les choses qu'il n'a jamais vécu.  Les solutions proposées par Casferd ne lui semblent pas déraisonnables, il avait vu des mages faire ce qui d'apparence semblait être bien plus que d'enfermer un fantôme dans un artefact magique.

-Ça vaut le coup d'aller demander, non ? Quitte à réveiller dame Esperanzia, mais j'en prendrais toute la responsabilité s'il le faut !

Un long silence suivit. Eskel mesurant intérieurement les pour et les contres... Il était vrai qu'il voulait prendre le moins de risques possibles, c'était son rôle de sorceleur, et de protecteur de ses élèves... En même temps, les sorceleurs n'avaient pas de lignes de conduites exactes. Tout était flou, sinon qu'ils évitaient, pour ceux suivant la philosophie du loup, de tuer gratuitement. Le mutant serra le poing, et par conséquent le médaillon.

- Va dormir Alban, tu te lèves tôt demain.

Un air sévère que l'on voyait rarement sur son visage. Il valait mieux qu'il ne discute pas cet ordre.

- Nous en reparlerons le temps venu.

Glissera-t-il tout de même alors qu'Alban prenait le départ, et lorsqu'il ne serait plus là, il s'adresserait à Casferd.

- Je vais essayer de trouver la meilleure solution Casferd. Mais ne l'oublie pas : deux siècles se sont écoulés, spectres ou vampires, ne sont que difficilement différents d'un nekker pour ma lame. Si tu trépasses les règles de bienséance, ne serait-ce qu'une fois, je t'anéantirais sans la moindre hésitation.

On disait que les esprits ne ressentaient pas la peur, mais le regard du monstre qu'était Eskel, autrefois rival du légendaire Geralt de Riv, avait de quoi faire frisonner un fantôme. Son visage s'apaisa peu après, et...

- Prends du repos désormais, j'étudierais nos options dès demain.

Il marcha en direction d'un mur, sur lequel un clou permettait d'accrocher des choses, et en l'occurrence le médaillon de Casferd. Ensuite, Eskel s'allongea sur son lit, son propre médaillon au cou, endormi qu'à moitié, mais en définitive, cette nuit de sommeil ne serait guère différente des précédentes : les longs rêves échappaient aux sorceleurs pour toujours.

Casferd étouffa un soupir, il n'était pas question de responsabilité, cela allait beaucoup plus loin. On ne parlait pas d'un fantôme qui chiait de l'ectoplasme par terre ou qui bouffait les rideaux mais d'un potentiel monstre qui pouvait réduire en charpie toute la forteresse. Du reste, il laissait Eskel faire: il avait toujours été son aîné, et au demeurant était désormais encore plus aîné que lui en plus d'être dans une position hiérarchique supérieure.

- Je resterai dans mon médaillon. J'aimerais te dire de ne pas t'en faire, mais la magie supplante parfois les volontés et la conscience des esprits... Eskel le savait mieux que lui. Pour le reste je te fais confiance, peu importe l'issue. Si dans un accès de folie je tuais quelqu'un, je suis certain que je ne pourrai plus jamais reposer en paix...

Le fait que le meurtre de sorceleurs soit lié à sa "non mort" était peut être une preuve qu'il ne perdrait pas la raison et ne leur ferait pas de mal, ou peut être était ce un signe de l'exact contraire. Lui même ne savait pas, personne ne savait. Ce n'était pas de la peur qu'il ressentit face au regard d'Eskel, mais une profonde honte mêlée à de la tristesse. Lui qui avait attaché tant d'importance à la famille ne pouvait éluder le regard coupable que l'ainé qu'il avait toujours respecté, estimé et apprécié lui avait jeté, ce qui lui donna, au fond de lui, une raison supplémentaire pour trouver rapidement une solution: plus jamais il ne voulait revoir ce regard, et il ne se satisferait que d'un regard de fierté ou de joie. Il se retourna, pataud, vers son médaillon. Un instant, il hésita à s'excuser avant de se rendre compte que cela était insensé, s'excuser de quoi? Il n'avait pas causé sa propre mort.

Il hésita à dire quelque chose, mais il n'en fit rien. Il retourna dans son médaillon en pensant à Solem.

Il lui manquait déjà.

Alban regarde Eskel d'un air grave, s'attendant au pire. Malgré sa confiance certaine en la gentillesse et en l'humanité du quasi ursidé, il ne peut s'empêcher de penser qu'à la seconde où il serait parti, il en profiterait pour sauvagement mettre un terme aux jours de ce pauvre fantôme. Après tout, peut être que sa présence ici représente réellement un grand danger pour tout les habitants du fort ... Légèrement résigné il se contente de hocher légèrement la tête, signe pour son maître que son ordre est bien arrivé à son cerveau.

-J'ai compris ... Bonne nuit Eskel, au revoir Casferd.

Il adresse à ce dernier un sourire compatissant, aussi chaleureux que possible. Après quelques instants il tourne simplement les talons et s'en va sans particulièrement traîner les pieds. Cet au revoir est peut être plus proche d'un adieu mais n'empêche que le jeune sorceleur est intimement convaincu que lui et le spectre se reverront un jour. Eskel, qui est un homme bon, lui laisserait sûrement faire des adieux corrects à cet adolescent mort il y a plusieurs centaines d'années. Il retourne alors dans sa chambre, sans vraiment essayer d'être particulièrement silencieux. Il s'affale dans son lit et regarde le plafond pendant un long moment. Il aurait bien aimé s'échapper du carcan de pierre de la forteresse le temps d'une nuit afin de la passer à la belle étoile, mais le froid mordant de l'hiver lui coupe cette envie aussitôt. Il finit alors par s'endormir, sombrant dans un sommeil trop léger pour être réparateur. Il rêva de l'histoire que Casferd lui avait raconté, revoyant la scène de l'attaque d'un point de vue extérieur. Il allait falloir qu'il se renseigne sur qui était ce Solem et sur ce qu'il avait fait, ça l'intéressait.

Lynos venait de terminer de nettoyer le dortoir des apprentis et il se dirigeait, d'un pas décidé, vers la chambre d'Eskel avec la ferme intention de lui demander de lever sa punition.
Ces quelques mois, confiné à Kaer Morhen, lui avaient fait du bien, il se sentait mieux dans sa tête comme dans son corps. Son corps avait d'ailleurs bien changé ses derniers temps.

Quand il se reluquait dans la glace, le jeune rouquin voyait un splendide sorceleur, affiné, musculeux au possible, sa magnifique crinière flottant dans vent. Il avait aussi remarqué les regards flatteurs, et les sourires enjoués, que lui jetaient les femmes de la forteresse lorsqu'elles le croisaient dans les couloirs.

Il n'avait pas tort de penser que son physique avait subi une transformation, mais en réalité lui qui était un peu arrondi, en arrivant à Kaer, était maintenant gras comme un cochon qu'on menait à l’abattoir. Il avait presque doublé de volume et ses bourrelets avaient maintenant, eux aussi, leurs propres bourrelets. Un immonde double menton faisait pratiquement disparaître son coup sous une couche de graisse, ses yeux avaient une allure porcine et on s'attendait presque à lui voir pousser une queue-de-cochon. Sa magnifique crinière rousse avait, elle aussi, perdu de sa splendeur et ressemblait désormais, à s'y méprendre, à de la paille séchée. Il avait une fois de plus raison, les femmes se retournaient bien sûr son passage le sourire aux lèvres, mais uniquement pour moquer son embonpoint et leurs regards n'étaient que dégoût.

Le porcelet venait de descendre, avec difficulté, l'étage qui le séparait de la chambre du maître sorceleur. Arrivé devant la porte d'Eskel, en nage, il prit de longues minutes afin de reprendre sa respiration, se disant qu'il devait cela à l'été qui approchait plutôt qu'à sa prise de poids.

-Maitre ! Maitre ! Je dois vous voir, couina le jambonneau tout en frappant à la porte.

L'esprit fantaisiste de Lynos lui en faisait voir des couleurs... Mais non, peu était réel, et bien était fruit de sa luxuriante imagination. Ainsi, s'il eut commencé à prendre du poids, il fut vite prit en main pour que cela cesse, car un sorceleur se doit d'avoir une diète rigoureuse, un corps athlétique pour survivre face aux atrocités de ce monde. C'est donc un Lynos peut-être légèrement enrobé qui se présenta à la chambre d'Eskel, qui s'y trouvait effectivement en ce soir de printemps. La porte s'ouvrit, et Eskel demanda avec perplexité :

- Qui y a-t-il Lynos ??