Une ruelle quelconque

Une ruelle qui n'était ni sordide, ni accueillante. Peu de circulation, mais pas déserte. Une ruelle quelconque en somme.

Carmia errerait quelques minutes dans les rues du Lacis et s'attirerait quelques regards: une femme ici, seule, c'était presque de la provocation. Pourtant l'épée dans son dos faisait se dire à ces messieurs que la donzelle avait peut être une bonne raison de ne pas avoir peur en se baladant ici et se tenaient tranquilles. Ou bien y avait il une autre raison comme par exemple deux types qui en tenaient un autre par l'épaule, ce dernier se laissant trainer par ses ravisseurs qui lui avaient bien amoché le visage. Ils étaient tout trois suivi par un quatrième homme coiffé d'une capuche, cet homme là, Carmia le reconnut de suite lorsqu'il arriva à sa hauteur, lui aussi l'avait reconnue, et il s'arrêta.

- Halte. Ordonna t-il sans quitter la Pianienne des yeux, son ordre ne s'adressait pourtant pas à elle puisque les deux molosses qui l'accompagnaient s'arrêtèrent et dégainèrent un "Oui mon adjudant ?" aussi vite. Amenez ce vendeur de fisstech à la caserne, procédure habituelle. Je m'occupe du rapport en rentrant.

Les deux hommes de main, les deux autres soldats désignés par ceux à la taverne en réalité, acquièscèrent et se mirent en marche, laissant le xanthe et la pianienne seuls.

- J'ai l'impression que ta présence ici n'est pas due au hasard.

Autrement dit, elle le cherchait, ou plutôt elle avait su ou le chercher. En tout cas il ne semblait pas avoir changé, que ce soit dans sa manière d'être ou de parler.

Alors que son esprit flânait de plus en plus, et que celui-ci allait même lui suggérer de retourner dans les quartiers sûrs de la bourgade, in Extremis, le hasard en eût décidé autrement. La troupe de quatre personnes apparue au moment le plus opportun, et lorsque la sorceleuse les aperçus, plus particulièrement l'adjudant chef, elle eût une pensée qui lui suggérait la fuite. Mais la Pianienne n'eût même pas le temps de mettre en oeuvre cette idée, que son regard croisa celui d'Herewen. Sursautant à la sommation qu'il adressa à ses subordonnés comme si elle eût été fautive, elle prit le temps de réfléchir à une réponse adéquate à lui donner, le temps que ses injonctions parviennent aux deux gardes :

- " Non, j'me baladais par hasard ici. Faut croire que c'dernier est plus intelligent qu'toi et sait mieux provoquer les rencontres "

Elle faisait là allusion à l'absence de retour de sa part au bastion des sorceleurs, bien évidemment l'allusion était subtile et très peu compréhensible..

- Admettons.

Une touriste idiote, une criminelle ou une menteuse, il s'agissait là des trois solutions quant à la raison de sa présence au Lacis à cette heure.

- Pourquoi aurai-je du rentrer à Kaer Morhen ? Pour enseigner à des écervelés comment agiter un bout de ferraille ? Pour m'arroser le foie et finir par terre à dégobiller comme le premier faquin venu ?

S'il avait quelque peu changé physiquement, puisque ses joues plus creusées qu'elles ne le furent indiquaient qu'il avait perdu du poids, il était resté le même dans sa tête, visiblement.

Le fait que celui-ci gobe son excuse miteuse sans se poser de questions la fit intérieurement sourire. Finalement, ce n'était pas un grand intellectuel. Mais passons.

- " Pour pleins de raisons. Déjà prendre des nouvelles de tes anciens camarades. Même moi qui avait hâte de quitter l'château j'compte bientôt y retourner "

Ensuite, sa main droite virevolta jusqu'au manche de son épée, qu'elle sortie instantanément, lui faisant faire quelques figures dans le vide. Une petite prouesse peu utile en combat, créée plutôt pour la beauté du geste.

- " Et crois-moi, ces bouts d'ferailles sont plus utiles que tout ces trucs magiques puérils. Surtout ici "

Un regard vers les alentours, comme pour illustrer sa parole.

- Prendre des nouvelles, comme s'il se passait des choses dans votre trou. Je connais déjà le contenu de votre formation. Excuse moi de ne pas jouer l'étonné à grands coups de "Oh!" et de "Ah!" tandis que l'on me raconte des choses que je sais déjà.

Il la regarda à peine faire sa petite figure, demeurant bras croisés sur son torse, pas le moins impressionné du monde. Egal à lui même en fait.

- D'autant que je suis relativement demandé par mes supérieurs. Je ne fais pas le planton.

Major de promotion à l'Académie Militaire de Nilfgaard, adjudant chef à son âge... Il était vu comme le jeune prodige de sa génération au point que certains en soient à regretter qu'il ait été sorceleur, fait rendant impossible son emploi dans un bureau ou les gens qui comme lui avaient une place toute désignée grâce à leurs méninges.

Sa poigne se resserra très clairement sur son pommeau.

- " Ah tu sais tout ? Tu sais aussi que Kaer y'a même pas deux ans a été attaqué par des Haakis, que beaucoup d'apprentis de tous les niveaux sont morts et qu'ce connard de mage a disparu après ça ? "

Son ton faussement froissé et éreinté prit une part de sincérité ; la Pianienne commençait terriblement à être agacée. C'était certain, mentalement, il était resté le même pédant.

- " J'vois, toujours à faire la boniche auprès d'tes supérieurs ? Ouais, t'as pas vraiment changé "

Il haussa à peine les sourcils.

- Je l'ignorais. Pourquoi avertir les membres de l'armée après tout ? Et a fortiori les sorceleurs eux même, susceptibles d'être ciblés. Quant au reste, c'est comme ca que marche l'armée.

Un trait d'humour, de sarcasme en réalité qui n'était ni plus ni moins qu'une pique saillante jetée sur ses supérieurs: qui était au courant si ceux dont la mission était de prendre les armes contre les haakis ne l'étaient pas ?

- Marchons.

Il s'agissait d'une drôlerie pourtant facile à détecter, mais la sorceleuse n'en verra pas un trait ; elle tombera dans le panneau et répondra dans un premier degré flagrant :

- " Pas parce-que l'armée peut défendre Kaer en cas de réattaque. Et surtout pour qu'elle s'mobilise pour retrouver c'con d'Valaar.. 'fin c'est logique "

Elle ouvrira la marche.

- " Enfin bref à part cette bataille y'a rien eu de marquant à Kaer, sauf des départs, des arrivés... En bref on s'faisait chier. Toi tu faisais quoi pendant tout c'temps à part pomper tes supérieurs ? "

Aucune agressivité dans le timbre de sa voix, son attitude depuis s'était quelque peu adoucis.. temporairement.

- C'était de l'ironie. Enfin...

Ils marchèrent, sauf si elle restait là.

- De la chasse aux monstres. Il n'avait pas relevé la pique de Carmia, sûrement s'y était il habitué. De la traque de bandits ou des opérations contre la pègre - l'Empire tient aux apparences, un sorceleur qui va tuer un criminel et un sorceleur en armure noire qui va tuer un criminel c'est tout un monde... - le tout avec mes 4 subordonnés. C'est plutôt utile d'être ainsi assisté, notamment pour sa propre sécurité. J'oubliais mais j'ai également fait une année à l'Académie Militaire à la capitale, Major de promotion, d'ou mon grade actuel.

L'on aurait pu penser qu'il s'en ventait, or il avait sa démarche habituelle: les bras croisés dans le dos, ceci avec le ton laissant transparaitre un détachement saisissant, comme si laisser les nobliaux et les fils à papa qui espéraient la rafler la mise à l'Académie n'avait été qu'une formalité.

- " Ah. Bref on s'en fout "

Comme indiquait précédemment la sorceleuse avait ouvert la marche. Néanmoins, elle connaissait très peu la bourgade, encore moins ses bas-fonds. Si Herewen souhaitait sortir de ses impasses et de ce véritable labyrinthe, mieux valait pour lui d'indiquer les chemins à prendre, plutôt que de confier cette tâche à la sorceleu, qui elle ne fit pas attention où elle mit les pieds. Marchant sans prendre garde à son environnement, mais avec une démarche moins fluette que celle de son interlocuteur.

- " C'est... Compliqué tous tes trucs. À c'que j'vois t'es toujours aussi téméraire "

Un sarcasme, comme quoi Carmia apprenait rapidement...

- " T'as toujours pas projet d'lâcher tout ça et faire le taff de sorceleurs normalement, 'fin comme tout le monde ? "

Herewen savait ou il allait, visiblement.

- Non. C'était catégorique. Pourquoi le ferai-je ? Je suis nourri, logé, chauffé, blanchi, j'ai une solde et des hommes à ma disposition qui me font courir un moindre risque. Lorsque mon service obligatoire sera terminé je compte bien prétendre à des rôles me permettant de fréquenter les bibliothèques régulièrement. Autrement dit, officier supérieur, le type qui restait derrière et ordonnait aux autres. Et toi, comptes tu mettre toutes les chances de ton côté ?

Car à ses yeux, il ne s'agissait que de cela.

Levant les yeux au ciel et soupirant, la perspective d'avenir d'Herewen était... Fidèle à lui-même, mais terriblement singulière pour un sorceleur. Privatisant le calme à l'agitation, il était certain que dans son choix de carrière il n'allait pas faire l'unanimité.

- Bibliothécaire un jour, bibliothécaire toujours.. "

Répondit-elle sarcastiquement, avant d'être interloquée :

- " De qu'elle chance tu m'parles toi ? "

C'était bien la seule chose dont il était sûr: ils seraient nombreux à ne pas approuver. Mais qu'importe.

- De chances de survivre. Et aussi d'avoir un futur. Que fera tu une fois tes 50 années au service de l'Empire écoulées ? Te reconvertira tu dans un autre domaine ou continuera tu ton activité de sorceleuse par dépit et habitude quand bien même rien ne t'y oblige ?

Nulle rhétorique dans sa voix: l'interrogation était réelle. Il était curieux de savoir comment elle abordait la question si tant est qu'elle l'ait fait.

Un silence régnera quelques secondes dans la discussion, tandis que la sorceleuse se penchera sur la question, elle répondit à mi voix le temps de faire patienter son interlocuteur :

- " De quoi 50 ans d'services ? Ils peuvent se les foutre dans l'cul. J'fais c'que j'veux, quand j'le veux "

La Pianienne tournera enfin la tête vers Herewen, retirant de sa voix son ton revêche :

- " En vrai j'en sais rien.. J'ai déjà accompli tout c'que j'voulais faire à la sortie d'Kaer, et j'ai déjà exercé un peu le métier de sorceleur. J'me vois pas faire ça tout le temps. J'ai p't'être une idée de quoi faire après, mais j'sais pas la faisabilité du truc "

Il considéra ses paroles quelques instants, lui accordant un bref regard.

- C'est la pendaison qui t'attends si tu n'accomplis pas ton devoir, on vous a mis au courant normalement. Quoi que tu fasses tu sera obligée de maintenir un semblant d'activité 50 années durant ne serait ce que pour tromper la vigilance des autorités, autrement tu serais pourchassée...

Un membre de l'armée se serait normalement offusqué des propos de Carmia, mais il n'en était rien concernant Herewen, ce qui n'avait au final rien d'étonnant.

Ses sourcils se froncèrent, et son regard de plus en plus noir s'abattra sur le sorceleur, comme s'il était à l'origine de cette loi abjecte :

- " J'm'en fous totalement. Déjà que Kaer et ses règles c'était une torture, j'vais pas commencer à en suivre en dehors d'l'école. Si j'ai pas fait un truc militaire comme toi c'est justement pour pas avoir d'obligation et être libre. Ils peuvent s'carrer bien profond leur service "

Un autre mutisme succédera à cette envolée lyrique. Puis, Carmia enchaînera :

- " T'es depuis longtemps à Novigrad ? "

Regard qu'il soutint du coin de l’œil, pas intimidé pour deux sous. Le contraire eut été inquiétant pour un sous officier de l'armée, surtout tel qu'il avait été décrit par ses subordonnés qui semblaient l'estimer un minimum.

- Je disais ça pour toi tu sais, les pendaisons n'arrivent pas qu'aux autres. Et non, je suis ici depuis quelques jours, et pour une durée qui reste à déterminer.

Ses pupilles ocres rouleront vers le ciel, encore une fois montrant sa prise à la légère des paroles de son interlocuteur :

- " T'inquiètes, j'crains moins la corde que l'obligation d'servir un empire de merde. Et t'façon la pendaison c'est pour le peuple "

Puisqu'à vrai dire, elle n'avait été spectatrice de cette sorte de prestation... Jamais. Carmia savait qu'elle était encore pratiquée dans les bourgades peuplées, mais la Pianienne restait souvent en retrait de ces endroits..

- " À déterminer ? La garde est sur un coup ? "

- Du menu fretin qui échappe aux incapables de la ville. Ils avaient besoin de quelqu'un capable de mettre un coup de pied dans la fourmilière visiblement. J'ai décrété qu'on ferait des descentes dans le Lacis jusqu'à ce que les grands pontes des malfrats du coin commettent une erreur.

Les méthodes de l'adjudant-chef Herewen ne manquaient pas de panache et étaient appréciées par les instances: de nombreux responsables des armées dans le Nord étaient soit des gens peu motivés, soit ayant fait leur trou en suivant les instructions et ce qu'on leur avait appris à l'école à la lettre. La capacité d'adaptation et son originalité dans les opérations qu'on lui confiait ne décevait généralement pas.

Prenant en compte les informations qu'on venait de lui délivrer, son regard se perdit quelques secondes sur les dalles de la ruelle, comme hypnotisée par celles-ci. Ensuite, sans crier gare, elle tournera sa caboche vers la bibliothécaire :

- " J'peux participer ? Faut que j'gagne des thunes avant d'me casser d'ici et les contrats avec des monstres j'ai eu ma dose pour l'instant.. "

- L'empire dépense des dizaines de milliers de florins pour nous mettre leurs couleurs sur le dos, l'apparence compte plus que le reste: quelqu'un a jugé qu'il était préférable que ceux qui sortent les cadavres des malfrats des égouts devaient porter les couleurs de l'empire. Une question d'image assurément, la logique d'efficacité en voudrait autrement.

Il trouvait cela profondément stupide, engager un sorceleur pour les aider de temps à autres serait plus rentable que de les intégrer à l'armée, mais cette obsession pour les apparences remplissait ses poches, au final ca l'arrangeait bien.

- En somme, ca me sera refusé. Je peux toutefois essayer de forcer la hiérarchie à engager un informateur qui n'aurait que ça à faire de ses journées que d'errer dans le Lacis, ça pourrait être une bonne idée oui. Ajouta t-il cette fois pour lui même. Fruit du même hasard qui t'as amené ici en pleine nuit alors que je m'y trouvais, tu serais celle qui répondrait à l'offre ainsi qu'aux critères, hm ?

Reculer pour mieux sauter, c'était parmi les tactiques incisives du xanthe l'une des plus redoutables: Carmia pensait l'avoir dupé, il n'en était rien et il revenait à la charge au moment le mieux choisi comme en témoignait le bref regard entendu qu'il lui avait accordé.

Lorsque son monologue sur les formalités administratives barbantes que tenait l'empire apparu, la Pianienne manqua presque de s'endormir debout. À la place, elle mima satiriquement les dires d'une expression faciale agacée.

- " Putain ils sont casse-couilles "

Mais cet avis tranché et acerbe, c'était avant la suite des propos d'Herewen, qui arriveront à lui dégoter un sourire :

- " Tu peux faire ca ? C'est génial. Maintenant parle du truc ; c'est quoi le délire ? "

Elle se sera arrêtée de marcher, son impatience et curiosité prenant le dessus sur sa marche.

- Je peux ordonner à mes subordonnés, et rappeler à mes supérieurs pourquoi je suis là. Aura t-il commenté en préambule, sa marge de manœuvre existait, et il poserait des conditions afin d'être efficient. La ville est infestée de gangs dernièrement. On m'a appelé pour faire tomber quelques têtes de barons du crime. Pour l'heure je me contente d'envoyer mon escouade sur leurs agents de terrain histoire de les titiller, mais avoir une oreille dans leur planque ne serait pas de trop. A ce propos, tu as un xenovox ?

Considérer mûrement des décisions qui pouvaient se révéler primordiales dans la tournure de sa vie, ou même tout simplement dangereuses, Carmia ne le faisait jamais. Simultanément, la sorceleuse donna son accord, d'un ton plutôt enjoué, mais tout de même fidèle à elle-même :

- " T'es vraiment pas con toi. Ils sont où les saligauds ? "

Décidément motivée à rendre service - ou gagner assez d'argent pour partir d'ici -, la sorceleuse fera mine de regarder autour d'elle.

- " Ouais j'en ai un, comme tout l'monde crétin "

- Tu pensera à le balancer dans un fossé si d'aventure tu devais te brouiller avec l'empire. Une information jetée comme ca, dans le tas, mais qui avait en réalité une importance capitale puisque les instructions officielles étaient de justement toujours l'avoir sur soi et de signaler à l'Empire s'ils le perdaient. Ils se terrent dans les égouts, selon nos informations, des informations trop vagues pour que l'on envoie des gens là bas. Nous sommes dans la plus grande ville du monde.

Sa main, crescendo, plongea dans sa besace rapiécée. Elle en sortit le fameux xenovox, qui prenait indéniablement la poussière.

- " T'façon, j'hésitais déjà à m'en séparer. Il m'sert plus trop "

Les seuls contacts qui figuraient sur cet objet ésotérique demeuraient inatteignables. Maajidyn semblait avoir disparu de la circulation du Continent, Amralt lui cela ne faisait aucun doute. Un vent de solitude et de mélancolie tentait de la frapper, elle mordit l'intérieur de sa joue afin de le freiner.  

- " J'aurais qu'à fréquenter les bars du Lacis, j'chopperai p't'être des informations par-ci par-là... Avec d'la chance je tomberai p't'être sur quelqu'un de leur groupe "

Son regard se baissa sur l'outil magique avant de remonter vers celui de sa propriétaire.

- Mauvaise idée, il est tracé.

Lorsque les prunelles d'Herewen remonteront pour croiser celles de la Pianienne, il remarquera la même humeur dans ces derniers ; la condescendance :

- " Mais t'es con, j'vais pas l'paumer maintenant. J'connais un endroit plus sûr où l'déposer " Elle le rangera sans soin dans son baluchon avant d'enchaîner sans remonter la tête. " Dernière requête ; tu connaîtrais pas des subordonnées ou supérieurs à toi qui iraient dans l'Geso ? "