La rivière

Une large rivière, affluent venu d'un mont de l'Est, et se terminant plus loin dans le Gwenllech, le grand fleuve de la région. Cet endroit était interdit aux enfants, souvent étaient contées les terrifiantes histoires de noyeurs et autres guenaudes qui viendraient les enlever ces mioches, pour faire d'eux les leurs, s'ils s'approchaient trop de l'eau... Les gamins se narraient que les vieilles histoires sur les monstres étaient des mensonges... ces derniers ne cherchaient pas à les transformer en les leurs, ils se contentaient de brutalement les dévorer... Enfin, il restait que les créatures aquatiques se montraient rarement ici, les représailles vengeresses des Hommes avaient vite fait raison de les exterminer tout entier lorsqu'elles s'attaquaient à leurs enfants.

La course endiablée les amènera finalement jusqu'à la rivière, après les slaloms dans les rues du faubourg. Et c'est la belle Jeanne qui obtiendra la victoire, laissant alors Alban pour mort...

- Eh bien Alban, toujours vivant ?

Soufflant un peu.

Il laisse s'échapper un râle de désespoir en apprenant sa défaite, Il descend rapidement de son cheval pour aller offrir sa main à la belle afin de l'aider à descendre du sien.

-Je crois bien ... ou alors l'au-delà est extrêmement similaire avec la vie normale ! Bien joué à vous en tout cas, je ne vous imaginais pas aussi bonne cavalière.

Une main qu'elle acceptera.

- Le cheval et la lecture, sont mes seuls échappatoires ici.

Répond elle avec une once d'émotion dans la voix.

- Je devrais peut-être essayer de concourir aux courses, qui sait...

D'un air amusé.

Il lui offre au passage un charmant sourire, il fait de son mieux tout du moins.

-Et bien ... la vie de fermière n'a pas l'air bien passionnante ... Des fois, j'en viendrais presque à être heureux de la vie qu'on m'a forcé à mener.

Il opine, visiblement emballé par l'idée.

-Je suis sûr que vous auriez les moyens de réussir dans le milieux ! Imaginez un peu l'histoire, la mystérieuse cavalière, venue de nul part, qui pulverise ses homologues masculins. Vous seriez célèbre !

"Charmant" sourire qui ne semble pas trouver preneur, puisque Jeanne marchera le long de la berge, tirant le cheval, sans y réagir.

- ...

Elle ne répondit d'ailleurs pas non plus à la phrase d'Alban.

- Pourquoi "mystérieuse" cavalière ?

Demande-t-elle finalement, imaginant assez mal cet adjectif lui seoir.

Et bien tant pis, il regarde la berge à son tour, hanté par un souvenir relativement moite, tirant lui aussi son cheval.

-Et bien ... parce que personne ne vous connait, vous arriveriez de nulle part. Qui pourrait croire au premier coup d'oeil que vous êtes une cavalière expérimentée après tout ? Ça surprendra forcément les gens !

- Peut-être...

Fit-elle songeuse.

- Vous le reconnaissez à quoi, le bon cavalier ?

Il passe une main dans sa longue chevelure, pensif.

-A sa vitesse ? A son aisance à diriger un cheval ? Peut être aussi à la relation fusionnelle qu'il arrive à avoir avec sa monture ?

Elle le regarde en grimaçant, l'air de s'adresser à un idiot.

- Ce qui est tout à fait visible au premier coup d’œil.

Il arque un sourcil.

-Pas vraiment au premier, mais oui, c'est tout de suite visible si on vous vois monter à cheval.

Il soupire.

-Après, les chevaux c'est pas vraiment ma spécialité hein ...

- C'est ce que je vois !

Lance-t-elle en riant.

- Plus très étonnant que je vous ai battu.

Elle zyeute au niveau de la ceinture d'Alban, sa grande épée dissimulée dans le fourreau de toute évidence. Un sourire se décroche, et elle dit alors en reprenant son regard sur les environs qui s'assombrissaient.

- Vous devez être meilleur avec cela. C'est bien connu que c'est la spécialité des sorceleurs.

Il rigole à son tour, humble.

-Vu vos capacités à vous, vous ne devriez pas être très surprise de gagner, c'est vrai.

Il regarde son épée, pendant inerte le long de son flan droit.

-Figurez vous que certains préfèrent se tourner vers les arts magiques ! N'empêche que les sorceleurs sont les meilleurs bretteurs du monde, c'est bien vrai.

- Cessez donc de me flatter, flagorneur !

Sur un ton léger, avant d'enchaîner.

- Vous avez tout l'embarras du choix, ce doit être horrible ! Être le meilleur bretteur, ou le meilleur mage... Plus évident de choisir entre meilleure laitière, et meilleure boulangère !

Une certaine amertume était palpable dans sa voix, mais peut-être n'était-ce que de l'humour.

Il rigole, assez fort.

-A la forteresse je n'ai personne à complimenter ! Comprenez moi, j'ai besoin d'écouler mon stock de flatteries et vous semblez bien les mériter.

Il hausse les épaules.

-Je pense que c'est une bonne chose, d'avoir du choix. On nous a tous attaché à une table quand on était gosses pour nous refiler des pouvoirs qui nous dépassaient et qui nous dépassent encore aujourd'hui, et ça sans qu'on le veuille vraiment, ils nous doivent bien ça, du choix.

Elle lui aura souri en soufflant du nez, sans répondre davantage. Ensuite, les paroles d'Alban lui font mollement hausser les épaules, et prendre une mine songeuse, presque mélancolique.

- M'oui. Tout le monde mérite d'avoir le choix, mais peu l'ont au bout du compte. Vous faites partis de ces heureux élus, apparemment...

Il sourit à son tour avant de tourner son regard vers le ciel qui commence peu à peu à s'assombrir.

-Vous pourriez l'avoir vous aussi, tout autant que moi. Seulement il y a un prérequis, du courage, un paquet de courage. Il suffit à un moment de sauter dans l'inconnu !

- C'est plus facile à dire lorsque l'on est une machine à tuer, qui craint bien peu de choses... Qui ne craint peut-être que les femmes ?

Se permet-elle de plaisanter, remarquant elle aussi la nuit tombante.

-Vous croyez ça ? Le problème quand on ne craint plus les choses banales que les gens craignent, c'est qu'on se met à craindre des choses cent ... qu'est ce que je dis ... mille fois plus horribles. Les mages me terrifient, mais vous n'en avez sûrement pas peur étant donné que vous ne savez pas ce dont ils sont capables. Et j'ai peur d'un bon millier d'autre choses.

Il se rapproche d'elle, clairement plus confiant que ce qu'il avait laissé paraître à leurs rencontres.

-Et j'ai tendance à rester éloigné des choses que je crains.

Jeanne plisse les paupières, décelant une forme d'incohérence, ou de manque de corrélation dans les idées qui suivent le discours d'Alban. Mais avant qu'elle n'ait le temps de le souligner, elle le sent s'approcher. Son regard vient à lui, puis se détourne.

- De quoi sont-ils capables ?

Contrairement à Alban, elle était légèrement moins rassurée qu'avant, et une once d'hésitation s'était profilée dans la voix de la jeune fille.

Le manque d'enthousiasme de Jeanne ne le fait pas reculer, n'empêche qu'il s'arrête de se rapprocher.

-Ce n'est pas très ... approprié de dire ça mais bon ... j'en ai vu un faire exploser le crâne d'un pauvre gars, à 50 mètres de distance, sans même claquer des doigts. J'en ai vu d'autres déchaîner des torrents de flammes.

Il grimace légèrement.

-Mais mages et sorceleurs sont deux types de personnes extrêmement différents. Les mages sont des vendus, les sorceleurs sont libres.

Elle porte une main à ses lèvres.

- Vraiment... C'en est vraiment quelque chose de terrifiant...

Une réponse banale, que l'on attend pas d'elle.

- Ha... Est-ce vraiment ainsi ?

Demande-t-elle, toujours avec cette perceptible incertitude étonnante de sa part.

Il opine doucement.

-Imaginez vous que je dois croiser, écouter et obéir à ce genre d'individus tout les jours ...

Il opine à nouveau.

-Un vrai sorceleur n'accepterait jamais de servir n'importe quel royaume.

- N'est-ce pas ce que vous faites, au bout du compte ? Ou que vous avez fait, lorsque Seig Lyn a été attaqué...

-Il faut déjà savoir que je n'étais pas encore sorceleur à ce moment là ... Malheureusement. Il se trouve aussi que les sorceleurs ont été forcés de combattre, et envoyer des gosses sur un champ de bataille, je vous laisse deviner de qui venait l'idée. On vit dans une sale époque ...

- N'était-ce pas un mal pour un bien ?...

Demande-t-elle incrédule.

Elle vient de toucher un bon point, Alban n'y avait jamais vraiment réfléchi.

-Et bien ... en sacrifier quelques uns pour en sauver des dizaines d'autres ... peut être que vous avez raison ...

- Voire des milliers...

Elle hausse les épaules.

- Il se fait tard...

Il passe une main dans ses longs cheveux, pensif.

-Est ce que je pourrais ... vous raccompagner chez vous ? Les nuits ici ne sont pas des plus sûres.

- J'osais espérer que vous étiez assez galant pour le faire. Comment fait-on pour les chevaux ?

En venant caresser le museau d'Alban le cheval.