La taverne du Montagnard

- ...

Il laissa alors le silence combler l'endroit avant de se saisir d'un verre et d'une bouteille d'alcool, d'en vider un peu de son contenu dans son verre et d'en boire quelques gorgées avant de finalement rompre le calme mortuaire d'un fracas résonnant en déposant avec force son verre contre la table.

Il fixa le tenancier qui avait déblateré des propos inaudibles à ses oreilles quelques secondes plus tôt. Attendant de lui qu'il parle, car comme pour sa première venue, il était là pour s'enquérir des informations disponibles.

Le pauvre homme bredouilla, incapable d’aligner deux mots correctement.

- Q... Q... quô... qvô... qvô tô lô?

- Dites moi ce que vous savez sur ce qui a suivi la mort de Zdenek.

Répond Ichaer. Les autres personnes dans la taverne étaient eux aussi invités à répondre si ils étaient au courant de quoi que ce soit.

Peu de personnes osèrent répondre: parmi les plus braves, le tenancier donc, un homme aux cheveux reculant sur son crâne, et un autre totalement chauve dôté d’une mouche blonde sous la lèvre comme seule trace de virilité.

- Lgard à enqûté, sondé eul gens un pi partou, dira le premier.

- Smère sfaite cambrolée et bitée. Na vu eul scène van dprévnir eul gard, co dcouto o d’ipé...

La tension sembla remonter quand l’homme à la chevelure survivant de façon pathétique aborda ce sujet, mais il repris, semblant vouloir calmer ses pairs.

- Cpa lui la tiée. Yavi ‘cun sorleur à Ssig cjour lô, lô!

L’homme chauve prendra alors la parole, bègue, et, sa voix était comparable à celle d’une femme: un homme pas très viril en soi.

- Zdenek lété remplcé pô... pô sô ôcien gars, eul... eul type lô...

Un autre homme de l’assemblée coupa ce cirque en s’exclamant.

- S’appul Antagosčisu.

Ichaer pourra entendre de son côté, vers le fond de ”l’assemblée”, de légers chuchotements suivis de ricanements... stressés? Personne d’autre ne semblait avoir entendu, bien trop concentré sur ce qu’il se passait devant.

- Antagosčisu ?

Coupant court à ce qui se disait. La mère de Zdenek était encore en vie lorsqu'il la laissé chez elle. Pourquoi l'avait-on tuée ? Il tourna donc son regard vers la personne qui prononça visiblement le nom de son remplaçant pour en savoir un peu plus sur l'homme.

- Qui est-il ?

L’homme ayant prononcé son prénom haussa les épaules, et, des chuchotements commençaient à se répandre dans la petite foule: visiblement, la présence d’Ichaer, bien qu’effrayante, était unanimement désapprouvée. Le tenancier pris la parole.

- Un type côm un ôtr. La ren dspécial eul bougr. Vens parfois bôr, pal pa bôcou...

- Ou est ce qu'il traine.

Le silence lui répondit... Le tenancier regarda derrière lui, puis déglutit, se tournant vers Ichaer.

- J... Jsé pô...

Il brisa son verre qu'il tenait en main, main gantée qui abimera surement légèrement le cuir de son gant mais il en a que faire. Il se tournera à son tour pour observer dans la direction ou l'homme avait observé.

- Parle ou je saurais te faire parler.

Tous se turent, et le tenancier plaça ses mains devant lui, en signe de paix.

- Je nsais rien!!!

Il se leva alors pour se diriger vers l'homme qui avait vendu la mèche dans un élan de courage qui lui coutera désormais. Il le saissisa par le col pour le jeter contre une chaise de libre, le forçant à s'asseoir.

- Antagosčisu. Dis moi ce que tu sais à son propos, et maintenant.

Le pauvre homme se mit à brailler comme un nouveau né, personne n’osant faire quoique ce soit: tous se regardaient, personne n’agissait...

- JÔ SÉ RON!!! JÔ SÉ RON MFI PAS DMAL!!!!!

Il se saisit de lui et le ramène dans un coin de la taverne ou personne ne regarde ou n'a d'oreille pour écouter. Les toilettes, l'étage ? L'arrière réserve ? Bref, l'endroit le plus proche ou il pourra l'intérroger en bonne et due forme.

Après avoir passé un moment à le chercher, Eadwacer finit enfin par trouver Eskel à la taverne, après avoir interrogé quelques gardes qui avaient repéré son aspect ... particulier.

"Ah, Eskel, je te cherchais. J'aimerais rester à Seig Lyn plus longtemps, je pourrais rejoindre Kaer Morhen plus tard. Je suis sur quelque chose.", déclara-t-il en s'asseyant à côté de lui.

- Hmm ?

Lève les yeux Eskel.

- Quoi donc ?

Il s'assura que personne n'écoutait avant de continuer.

"Il y a quelques mois, j'ai appris qu'un petit noble de la ville avait eu la chance d'investir dans la scierie quelques mois avant l'attaque des Haakis sur la Seig Lyn. Coup de bol, il avait fait fortune grâce à ça... Bref, on m'a dit qu'il était au courant. Et la personne qui l'a dit a été par malchance assassinée... Et j'ai appris aujourd'hui qu'il avait disparu soudainement il y a longtemps déjà.", lui raconta-t-il.

Il croisa les bras en se redressant sur son dossier.

"Je veux rester ici le temps de le retrouver.", conclut-il.

Eskel fronça les sourcils.

- Qu'est-ce que tu me racontes là mon garçon, c'est naturellement hors de question.

Il ne lui demanda pas même ce qu'il comptait faire, et ne se donna pas la peine d'étayer ses propos. C'était une réponse autoritaire, un non brut.

Il fronça lui aussi les sourcils.

"Donc ce que tu me dis, c'est que j'ai découvert une affaire de traîtrise qui remonte jusqu'à la noblesse locale, mais ça ne vaut pas le coup de continuer à chercher ?", répliqua-t-il avec plus de véhémence.

Il était évident que la bataille de Seig Lyn était importante dans sa vie, puisqu'elle l'avait privé de sa jambe, et qu'il prenait l'affaire à cœur, encore plus à cause d'Élodie, qui était morte par sa faute.

- Ce que je dis, Ead', c'est que tu ne sais rien du monde, et que ce n'est pas un jeune homme qui ne sait rien du monde, qui va résoudre ce genre de complots s'il s'avère existant. Que vas-tu faire, une fois ton homme trouvé ? Le tuer, le livrer ? As-tu vraiment des preuves, où sont elles, si elles existent, et qu'elles t'ont été amenées à toi, un jeune homme sans histoire ici, d'une manière ou d'une autre, n'est-ce pas déjà étrange ?

Eskel est presque en rogne.

- En admettant que tout soit vrai, il te suffit de transmettre ces informations aux autorités, et les laisser faire. Ce n'est pas notre rôle, que de courir après les complots, c'est un chemin tortueux, qui a valu la corde à beaucoup. Une seule erreur, et cette société s'en souviendra pour toujours. Tu t'intéresses à la magie, Ead', tu crois pouvoir rejoindre une grande école, avec un passé de diffamateur ? Je le redis, si tu es sûr de ce que tu avances, fais en part au capitaine de Seig Lyn, c'est un brave garçon, qui a soucis de faire régner la justice. Mais ne va pas t'embourber seul dans cette folie.

L'habituel plutôt taciturne, avait beaucoup parlé cette fois-ci...

"Tu ne comprends pas, Eskel. Quelqu'un est mort... Je lui avais promis qu'elle ne mourrait pas si elle me le disait, mais elle s'est fait assassiner, dans une rue sale de Hard Lyn. Je ne compte pas le tuer, ni même lui parler, mais pour l'instant enquêter sur lui ! Rien d'autre. Je ne salirais une réputation que s'il est réellement coupable. Tout ce que je demande, c'est quelques jours d'observation de plus, rien d'autre.", argua-t-il, déjà résigné à partir avec ou sans son accord.

Eskel ferme les yeux, et se penche en arrière jusqu'à ce que son crâne se colle au mur derrière. Un soupir s'extirpe de ses poumons, et quelques secondes s'écoulent.

- C'est non.

Il se redresse et fixe le garçon avec un air de compassion lasse, dominée par un ton autoritaire.

Eadwacer se releva brusquement, la colère peinte fugacement sur le visage, qui se relâcha après quelques instants, notant un contrôle de soi assez rare chez le jeune homme. La situation était inhabituelle.

"Soit. Je m'en vais prévenir la garde.", fit-il d'un ton sec alors qu'il s'en allait.

Eskel lui saisit le poignet.

- Je t'accompagne.

Il buvit d'une traite sa bière, après avoir avalé sa dernière part de tarte, et se leva à son tour pour venir avec Eadwacer.