La place du marché

- Pour vos garçons, si vous les voulez grands et forts comme des mutants !! 5 florins le panier de champignons cavernicoles, 5 florins !

Criait une douce voix légèrement enrouée par une utilisation trop forte, signe donc d'une fatigue. Elle devait être là depuis le petit matin de toute évidence. Il n'eut pas grande peine, Alban, à reconnaître alors celle que ses yeux cherchaient : la belle Jeanne, dans sa tenue de petite origine, les mains noircies, le visage humecté par la chaude journée et les efforts, mais malgré tous ces tristes apparats, gardant sur le visage, cette discrète malice la caractérisant. Elle n'avait pas remarqué le sorceleur, trop concentrée sur sa tâche.

Alban sourit doucement, s'approchant de la jeune femme et de ses champignons. Il joue un peu des épaules, très aidé par sa taille, sa carrure et sa force. Arrivé proche de Jeanne, il sort cinq florins de sa poche et les lui tend.

-Donnez m'en donc un !

Il lui fait un grand sourire et la regarde dans les yeux, content de la revoir. Il espère au fond de lui que ce sentiment est réciproque.

- Ah !!

Sursaute-t-elle en voyant ce visage familier.

- Par Mélitèle, je ne m'attendais pas à voir un cheval ici, votre maître est absent ?

Reprenant vite contenance et assurance, c'était bel et bien Jeanne qu'Alban avait devant lui.

- C'est 10 florins pour les non nécessiteux, et 5 de plus pour les retardataires.

Elle lui sourit, avec subtile goguenardise.

Il arque un sourcil ... un cheval ? Il n'y avait pas de cheval dans le coin ... Peut être que c'est une blague, blague qu'il ne comprend pas. Pourquoi s'intéressait-elle à la présence d'Eskel.

-Non, mon maître est bien présent ! Excusez moi de ne pas être venu plus tôt, j'aurais bien voulu passer avant mais je n'étais pas ... en état de le faire.

En effet, après ce combat contre le spectre, impossible d'aller voir la belle ... Il pioche dans sa bourse 15 supplémentaires, pour un total de 20 florins donc.

-Et cinq de plus pour vous témoigner d'au combien vous m'avez manqué.

Un gloussement lui échappe, face au candide du garçon. Elle se reprend, une main devant la bouche, et répond alors :

- Oh pardon, Alban, je ne vous avais pas reconnu ! Je vous ai confondu avec Alban, l'autre Alban...

Continuant sa drôlerie tout en l'explicitant, car les blagues les plus drôles étaient les plus courtes.

- Enfin, c'est trop aimable, je ne peux refuser une telle offrande. Surtout qu'elle libère ma journée !

Elle sourit à pleines dents, tout en lui tendant le panier d'une main, et s'essuyant le front de l'autre. Une réaction plutôt neutre, et ne rendant pas nécessairement la tendresse qu'offrait Alban. Puis, elle s'appuie des deux mains sur son établi, et regarde celui qu'elle aurait peut-être mieux fait de comparer à un canard, un sourire chaleureux étend ses lèvres.

- Comment allez-vous ? Et quelle est cette histoire "d'état" ?

Ses sourcils se froncent légèrement, elle semble au moins curieuse, sinon soucieuse.

Il papillonne des yeux, la blague était tout de même très osée. Il rigole tout de même, visiblement elle avait fait mouche.

-Oh je vois ! C'est vrai que sur certains points nous avons un petit air de famille !

La crinière, la force, l'entrejambe ...

-Heureux qu'elle vous plaise, et surtout qu'elle vous libère !

Il lui rend un grand sourire, pas inquiété le moins du monde par son mangue de tendresse, c'était sa manière d'être.

-Disons que j'ai vécu beaucoup d'aventures depuis la dernière fois que je vous ai vu, j'avais vraiment besoin de souffler aujourd'hui. Et pour cette histoire, et bien, un spectre hantais une ferme des alentours, pour faire simple et pour ne pas trop vous choquer, je dirais simplement qu'il ne m'a pas loupé.

Il attrape le panière de sa main gauche.

-J'ai ... attaché deux chevaux pas très loin d'ici, en espérant que personne n'aie été assez fou pour me les voler, souhaiteriez vous vous rendre quelque part avec moi ?

L'esprit de Jeanne n'allait pas aussi profondément dans les comparaisons, et elle n'épiloguera d'ailleurs pas à ce sujet.

- Ah oui ?

Elle en avait entendu parler de cette histoire, de loin.

- Je crois au contraire qu'il vous a tout à fait rater, pour le plus grand malheur de ces dames. Mais je retiens surtout que je suis... votre bouchée d'air frais ? Je ne sais pas si je suis censée être flattée ou vexée, vous avez l'air de dire que je réponds à un besoin de distraction. C'est peu mélioratif, finalement.

Quelle belle prose possédait cette jeune fille, rayonnante de plus belle au milieu des rustres gens tout autour.

- Hmpf.

Ponctue-t-elle sa réponse, en attendant de voir comment Alban allait tourner la situation en sa faveur, avant d'accepter un petit tour à dos de cheval.

Il soupire, ses souvenirs de ces événements sont loin d'être bons.

-J'ai tout de même été cloué au lit pendant plusieurs semaines ...

Il passe une main dans ses cheveux, il va devoir redoubler d'adresse argumentative pour se sortir de ce pétrin.

-Je ne me permettrais jamais de dire que vous n'êtes qu'une distraction pour moi ! Vous êtes bien plus que ça, vous êtes une délivrance. Vous réussissez à m'arracher à ma vie de sorceleur. Vous êtes une des rares personnes qui me considèrent comme un être humain, et non pas comme une vulgaire machine à tuer. Quand je vous revois, c'est un sentiment comparable à celui d'un mineur qui revoit le soleil après des heures passées sous terre.

Il lui sourit légèrement et surtout sincèrement.

Elle ne semblait pas prendre cette histoire plus au sérieux que cela, difficile lorsque le cloué au lit pendant des semaines, était en pleine forme devant elle.

- Mouais. Brisant court à l'élan lyrique du garçon. Je m'interroge Alban, êtes vous un grand naïf romantique, ou un piètre mais vil manipulateur ?

Tenant toujours sa position d'appui, elle soupire, et jette un regard circulaire autour. Heureusement que la foule avait leurs oignons à quérir, et que leurs oreilles étaient alors peu promptes à écouter la conversation des jouvenceaux.

- Si c'est sincère, cela me touche. Mais n'est-ce pas manquer de décence qu'avouer ainsi ses sentiments, dans un lieu tel que celui-ci, à une jeune fille dont la condition immédiate empêche de répondre convenablement, si tant fut que sa réponse puisse convenir au jeune garçon ?

Pour une enfant de petite famille, elle était bien éduquée, trop bien éduquée. Mais ces origines là, lui permettaient d'être tolérante face au manque de savoir faire d'Alban... Faire la cour, ne devait pas être un enseignement fondamental de Kaer Morhen, aussi grand château que fut le lieu. Cela dit, Jeanne n'avait toujours pas donné sa réponse, mais elle commençait à ranger brièvement certaines choses déposées sur son "comptoir".

Il est vrai que les humains normaux ne sont pas vraiment familiers avec la récupération incroyablement rapide des sorceleurs ...

-Et bien ... On m'a déjà reproché ma naïveté, mais jamais mon manque d'honnêteté ...

Alban n'avait jusque là pas vraiment fait attention à la foule, il ne se considère pas comme appartenant à leur monde, pour ainsi dire, il s'en fiche de tout ces gens pour le moment.

-Je ne peux pas être plus sincère ! Et excusez mon manque de bonnes manières ... Ce n'est malheureusement pas le genre de chose que l'on apprend à Kaer Morhen ... J'aurais bien aimé cependant vous dire tout cela dans un autre endroit que celui ci mais vous m'y avez légèrement poussé ... Mais bon, ce qui est dit, est dit.

Qui aurait pu penser qu'une fille du peuple comme elle serait aussi compliquée ..? Il pensait que ce genre de choses étaient réservés aux nobles dans les grands palaces.

-Si vous préférez continuer cette conversation ailleurs, j'en serais gré.

- Je le sais, vous n'avez pas besoin de vous justifier.

Lui sourit-elle en se détachant enfin de sa position, pour débuter le rangement de son échoppe de fortune.

- Ce serait mieux, on ne s'entend pas très bien ici, et cela ne sent pas particulièrement bon non plus... D'ailleurs, à ce sujet, vous m'embarrassez...

Elle souffle du nez, les yeux clos, et le visage penché vers le sol. Puis, elle soupire.

- Vous m'attendriez, si j'avais à prendre un bain ?

...

Il grimace légèrement. Son manque de connaissance au sujet des femmes et de comment se comporter en leur compagnie se fait réellement sentir.

-Je ... Je suis désolé ...

Il baisse les yeux, un instant, visiblement très gêné. Pour la première fois depuis sa mutation, il se sent faible devant un être humain, qui plus est, devant une femme ! Il relève son regard vers la jeune femme.

-Oui, bien-sûr ..!

Il ne valait mieux pas qu'il lui propose de se joindre à elle, c'est une des choses qu'il a compris.

Il ne valait mieux pas, ou peut-être que si ? Qui sait... Quoi qu'il en soit, l'on ne saurait pas, puisqu'il ne demanda pas. Toutes les affaires furent rangées et montées dans un petit chariot qu'elle tirerait jusque chez elle. Ainsi, cette fois-ci, Alban pourra découvrir la demeure - modeste - de Jeanne et ses parents, dans le faubourg Ouest, expliquant assez pourquoi le jeune Alban lorsqu'il vivait encore à Seig Lyn, n'avait pas connu la jeune fille. Elle lui demandera bien sûr de rester à distance, le temps qu'elle revienne. C'est une bonne demi-heure plus tard, sinon plus, que la porte de la maison s'ouvrit, pour dévoiler aux yeux d'Alban, une toute nouvelle personne (ou pas). Ses cheveux dorés comme le blé, brillaient au soleil, sa peau était blanche, douce, immaculée comme celle d'un nouveau né, une robe safran, légère, protégeait son corps des regards, bien que cette dernière mettait un tant soit peu sa poitrine en avantage. Enfin, une odeur sucrée de lilas, embaumait le tout, faisant de Jeanne, au bout du compte, tout sauf une simple fille de fermière... S'était-elle apprêtée pour Alban ? Il semblerait.

- Où allons-nous, Alban ?

Les rues étaient vides à l'heure du déjeuner, Jeanne ne semblait souffrir d'aucun complexe alors.

https://continentem.forumactif.com/t599p30-la-rue-principale-du-faubourg