La forge 2

Le jeune An Thurgal se rendait pour la première fois à la forge, à la recherche de quelqu'un capable de lui forger, ou de lui procurer, une arme. Depuis le début de son instruction le garçon s'était concentré sur la pratique de la magie plutôt que le maniement des armes. C'était, d'après lui, une erreur et cela pour deux raisons.

D'abord il avait compris que la magie était avant tout un don, quelque chose d'innée. N'importe qui pouvait utiliser des signes mineurs, avec un peu d'entrainement, mais même la plus grande des déterminations ne pouvait permettre d'atteindre les arcanes les plus puissants de la magie. Seul le talent à l'état pur le permettait et s'il en avait possédé suffisamment ce serait un mage, et non un sorceleur, qui l'aurait trouvé.
Deuxièmement  pourquoi avoir enduré l'épreuve des herbes, ce terrible supplice,  pour ensuite se concentrer sur la magie alors qu'il n'est nul besoin d'être un mutant pour suivre cette voie ? Si l'ordre des sorceleurs  prospérait aujourd'hui , après avoir lentement périclité, c'était bien parce que la magie n'était pas suffisante contre les terrifiantes créatures qui peuplaient ce monde.

C'était une utopie que de vouloir être un mage-sorceleur, à être moyen partout on est bon nul part. C'est pourquoi Lynos avait décidé de se reprendre physiquement en main, en premier lieu il souhaitait se procurer une arme qui le distinguerait des autres élèves. Il avait tout d'abord pensé à un marteau, pour son incroyable pouvoir de destruction qui pouvait broyer la chair et briser les os, cependant cet outil avait peu de portée et serait bien trop lent en combat réel. Il lui restait la hache, mais cette arme manquait cruellement de précision, elle convenait mieux à un berserker qu'à un sorceleur. Quelle arme alliait à la fois précision, puissance et portée ? Seule une lance réunissait toutes ses qualités ! Non seulement elle avait une bien meilleure portée qu'une simple épée mais de plus sa précision chirurgicale permettait de traverser les interstices des armures, comme des carapaces, pour  transpercer et déchirer les points vitaux.

C'est donc avec la ferme intention de ressortir de là avec une lance que le rouquin franchit le seuil de la forge. La chaleur étouffante contrastait avec la douceur printanière extérieure, le lieu était relativement sombre malgré le foyer qui éclairait, faiblement, la pièce. L'odeur de métal chauffé à blanc était omniprésente mais Balac Smiss, le maitre forgeron, était-il bien présent ? Ou l'un de ses talentueux apprentis ?

Lynos fut rapidement rassuré par le bruit si caractéristique du marteau frappant l'enclume, le vieux maître était la.  L'adolescent attendit patiemment que le forgeron termine l'artefact sur lequel il travaillait minutieusement avant de signaler sa présence.

-Hum Hum, toussota-t-il, je m'excuse de vous déranger en plein travail maître Balac, j'aimerais solliciter votre aide. Je suis à la recherche d'une lance, auriez-vous une telle arme dans votre arsenal ? Ou éventuellement trouveriez-vous le temps de ma la forger ? Je suis actuellement endetté de 99 florins mais je peux vous rendre quelques services en échange de votre savoir-faire, qu'en pensez-vous honorable forgeron ? préféra-t-il lui avouer sans détour.

Ce qui fit une bonne minute d'attente. Lynos fut remarqué lorsque le bonhomme se préparait à l'étape suivante. Il haussa un sourcil, c'était le petit rouquin qui faisait le ménage dans le château ?

- Salut ptiot...

Répond-il d'abord à cette tirade un tantinet longue.

- Ça va être pas facile d'avancer des sous, il faut surtout le métal, le bois...

Il se gratte l'occiput, songeur.

Le forgeron avait l'air d'être un bon bougre mais comme beaucoup la vie lui serrait les bourses et les empêcher de cracher leur contenu.

-Je ne vous demande pas de m'avancer cet argent, s'empressa de répondre Lynos, mais si je vous rendais quelques menus services, gracieusement, cela pourrait-il faire office de paiement ? Ainsi, dans quelque temps, l'argent que je vous aurais fait économiser servira à l'achat des matériaux.

Sentant que son interlocuteur n'était pas tout à fait convaincu il rajouta.

- Vous devez avoir remarqué avec quelle ardeur j'ai récuré Kaer Morhen ? Je travaillerais pour vous avec encore plus d'acharnement si vous acceptez mon offre ! Alors affaire conclue ?

L'adolescent lui tendit alors sa main tout en le fixant droit dans les yeux avec une honnêteté non feinte.

- Avant l'argent, j'ai b'zoin des matériaux garçon. Et je n'ai pas gran'chose que jpuisse te donner en corvée...

Le regard ailleurs, songeur. Il n'avait pas vu la main tendue du mutant.

Le forgeron ignora complètement sa pognée de main et semblait peu intéressé par la requête de l'apprenti sorceleur mais Lynos était un obstiné.

-Je ne vous commande pas une arme de noble facture mais une lance de métal, une arme simple sans fioritures. Vous avez bien de quoi forger une épée j'imagine ? Alors une lance ne devrait pas vous demander beaucoup plus matériaux, lui expliqua le garçon. Concernant les corvées peut-être avez-vous entendu parler de moi pour mes capacités ? Je veux dire mes dons en manière de nettoyage ? Je vois que votre forge aurait bien besoin d'être briquée !

Sa main toujours tendue, il attendait la réponse du maître forgeron.

Le hasard avait fait que la forge n'avait besoin de rien.

- Tu devrais voir avec tes camarades, j'ai juste c'qu'il faut pour finir ce dont le château a b'zoin !

Son regard était évidemment revenu au garçon, et il lui attrapa la main pour l'agiter un peu, mais clairement pas comme la conclusion d'un marché.

Le maître forgeron disposait vraisemblablement des ressources nécessaires pour fabriquer une lance, après tout il ne s'agissait que d'un bâton terminé par une pointe de métal. Ce n'était guère plus difficile à forger que le fer à cheval que l'homme était en train de travailler. Ainsi donc Balac Smiss était ce genre d'homme ? Il se souciait plus du contenu de sa bourse que d'aider un jeune homme qui avait voué sa vie à protéger l'humanité ?

Serrant un peu plus la main, afin de s'affirmer face à la puissante poigne du forgeron, Lynos reprit la parole :

-Je vous remercie pour votre temps et vos conseils Balac, soupira l'apprenti sorceleur. J'imagine que vous êtes capable d'estimer assez justement le prix des matériaux? Ainsi que le votre?

Ou peut-être n'était-il pas du genre à manquer sa parole avec les autorités du château ? Question de point de vue, peut-être.

- La seule chose qui s'pourrait manquer, c'est l'métal. Tu veux du fer, de l'acier ou d'l'argent ta lance ? 30, le lingot d'fer, 50 l'acier et 100 l'argent. À peu d'choses près !

L'artisan n'avait pas mentionné le coût de sa main-d'oeuvre, c'était une bonne chose. En effet le garçon était toujours redevable d'une amende de 99 florins à la suite des quelques incidents qu'il avait causés dans la bourgade de Seig Lyn. Se procurait ne serait-ce que la somme de 30 florins ne serait pas une mince affaire, d'autant plus que quitter la forteresse lui était toujours interdit.

-Merci encore, je vous laisse à votre besogne Balac, le remercia chaleureusement Lynos. En espérant trouver rapidement les fonds nécessaires pour vous passez commande.

Après avoir salué le forgeron une dernière fois, l'apprenti sorceleur quitta la forge tout en réfléchissant à la façon dont il financerait sa lance.

Lequel de ses camarades serait assez généreux, ou inconscient, pour lui prêter une telle fortune ? Il faut dire que tous ne le portaient pas dans leur cœur. A leur décharge il est vrai que le rouquin avait le sarcasme facile, que son ego était légèrement surdimensionné et qu'il se complaisait dans l'art de la manipulation. De plus par sa faute l'honneur des sorceleurs avait été entaché et les sorties en ville avaient été interrompues pendant quelques temps. Cependant il avait nettoyé le château, avec autant d'application que d'ardeur, afin de faire pénitence. Ses efforts ne pouvaient pas avoir été ignoré par ses camarades et il était très certainement remonté, d'un chouia au moins, dans leur estime.

Par qui commencer, se demanda-t-il tout en se grattant le menton. Son camarade de promotion Salazar ? Non ce dernier avait une réputation de brigand et il ne voulait pas profiter de son argent sale pour se racheter une conduite. Ead ? Pourquoi pas mais lui restait -il seulement un florin après avoir vidé sa bourse à L'Etalon Fringuant pendant que sa jeune compagne patientait devant l'établissement ? En parlant de la compagne d'Eadwacer, peut-être que Violette accepterait de lui octroyer un prêt. Cela restait peu probable, puisqu'elle semblait toujours lui en vouloir pour Seig Lyn, mais cela valait la peine d'essayer..

C'est d'un pas déterminé, mais certainement pas confiant, que Lynos parti à la recherche de la jeune femme.

Aujourd'hui, Violette possédait dans sa besace son petit couteau en bois et une fiole d'hirondelle. La jeune fille arborait un grand sourire puisqu'elle allait dans la forge. Celle-ci était habillée comme tout les jours, avec sa même tunique qui était lavé le soir et utilisée le jours. Entendant le son réglier et particulier qui saillait à Ead, elle su qu'elle ne trouverait pas le Maître forgeron, - à moins qu'il soit là pour vérifier le travail de son forgeron préféré (qui l'était en tout cas pour la jeune fille).

Gauchère mais adroite, elle poussa la grosse porte de bois, contemplant son forgeron, entre la porte.

- Bonjour Ead.

Il tourna la tête en entendant la porte s'ouvrir, apercevant en premier le grand sourire puis la chevelure de feu qui l'accompagnait. Était-il télépathe ? Comme s'il répondait à son salut, il partit dans une quinte de toux, pour lui rendre son sourire après.

"Salut, Violette."

Il s'approcha d'elle, la plaque dans la main. Tendant l'autre, il remonta le bras de la jeune femme pour y placer la plaque, contre son flanc, jugeant son ajustement. Une fois terminé, il la reprit et vint déposer un baiser sur ses cheveux.

- Oulà.. tu tousse. C'est à cause de la fumée de la cheminée ? On devrait retourner au puit un de ses jours pour que tu t'éloignes un peu.. même plus loin. Tu sais, c'est le Week end, demain.. ou tout à l'heure nous pourrions aller en ville ?

Son bras se laissa relever par la main forte de sa tête blonde. Elle l'observa poser la plaque sur son flanc et demanda hasardeusement.

- Est-ce que c'est pour protéger ma cicatrice ? J'ai moi aussi crée quelque chose d'utilitaire pour les quêtes.. Elle retira sa fiole de sa petite sacoche.

- Tadaa ! J'ai fait de la potion hirondelle !

Pendant le baiser, sa main droite passa au dessus de sa tête pour se poser sur la chevelure d'épi. En suite, elle reposa sa fiole dans sa poche - à moins que son compagnon veille l'examiner. Puis, elle fit sa coiffure de concentration, un nœud roux, les deux parts de cheveux sur ses épaules.

"J'ai juste attrapé froid, à force de tremper l'épée dans l'eau et des courants d'air. Ça va me passer !", lui répondit-il jovialement, comme il aimait le faire.

Il croisa les bras, la plaque toujours dans la main.

"Oui, pourquoi pas !", continua-t-il. Il regarda la pièce d'armure, brièvement.

"Non, je suis juste en train de forger une armure de ta taille, je regardais si ça t'irait. Mais je te vois plus avec une armure légère, plus mobile. Surtout si tu comptes te battre avec deux lames...", dit-il, interrompu par la vision de la potion. Son sourire s'agrandit encore plus en voyant qu'elle avait en effet l'aspect d'une hirondelle.

"Tu as réussi ? Bien joué, je savais que tu étais douée pour ça.", la complimenta-t-il en lui chipant la fiole pour mieux l'observer.

- C'est possible ça ? Ça doit être un sacré vent alors, peut être que comme les gens s'entrainent pas loi et s'entrainent au Aard, ça a pu se mêler tellement à l'air que tu en tombe malade ? Si t'es sûr que ça va passer alors je te crois !

Joviale pareillement, l'adolescente chercha légèrement du regard une lance.

- Alors.. demain ou tout à l'heure ? Je te laisse décider, c'est toi qui à le marteau de la parole. Ces temps-ci, quand elle venait, elle utilisait un peu le marteau et l'enclume, ce qui faisait qu'ils se passaient l'objet pour former ces sons, particuliers suivant ses essaies et la technique du contrôle -presque maîtrise- de sa moitié.

- Je regarde s'il n'y a pas une lance qui a été ramené depuis quelques jours. Les lames sont bien fait en fer ? Quand je suis passé je n'en ai pas vraiment trouvé. Je sais qu'on fait beaucoup avec l'acier, j'ai encore du mal a distinguer l'un de l'autre.. qu'elle est la différence déjà ?

- Bien sûre que j'ai réussi, je ne tendrait pas un échec ! Et le roi sait que j'ai empesté la potion avant de laver mon habit hier, et dans le laboratoire. Heureusement, le torchon foudroyant les mouches, moustiques a fait table rase de mon échec !

Un soufflement du nez s'extirpa de ses petits naseaux, quel chipeur ! Elle garda précieusement le compliment en elle.

Il eut un petit rire.

"Ici, c'est une forge, avec une grosse cheminée. C'est fait pour que l'air passe ! Mais la chaleur du feu me réchauffe, ça va.", expliqua-t-il.

Il remarqua qu'elle semblait chercher quelque chose.

"J'ai bientôt fini pour aujourd'hui, si tu veux tu peux m'attendre !", acquiesça-t-il, plongeant ses yeux dans les siens.

"Eh bien, l'acier et le fer c'est la même chose ... Plus ou moins. Le fer, c'est ce que tu extrais du sol. Quand tu mélanges du charbon avec du fer, et que tu le chauffe très très chaud, ça devient de l'acier. On raconte qu'un nain maladroit a fait tomber un sac de charbon dans un fourneau, et qu'en essayant de le cacher à son maître, il a découvert l'acier ...", raconta-t-il, enviant à moitié le nain, qui, lui au moins, avait eu accès à des matériaux nobles à façonner. Pas comme lui qui était cantonné à la monotonie ferrique.

Il posa la pièce d'armure sur l'établi, pour lui prendre la main, y déposant des particules de suies. S'en rendant compte, il retira rapidement sa main pour la frotter vigoureusement contre son tablier, et repris ma dextre de sa dulcinée.

"Tu veux apprendre à te battre à la lance ? Tu n'es pas un peu ... Petite pour ça ? A moins que tu veuilles la manier à cheval ? C'est l'arme la plus efficace.", s'enquit-il, faisant la moue. Il n'était pas convaincu.

"Jamais je n'ai douté de tes capacités en potions !", fit-il, passant outre le reste de la phrase qu'il n'avait pas compris.

Il serra la main de Violette un peu plus fort.

Elle hocha la tête, concentrée.

- Je t'attends je t'attends, et si tu as besoin d'aide pour que tu sois libre plus vite, je suis là.

Sitôt dit, son oreille était toute disponible à entendre ce qu'il lui disait. Violette n'étais pas au courant de ça.

- Ils ne sont vraiment pas doué ces nains ! Un sac entier de charbon dans un fourneau, il faut y faire quand même ! Peut être le sont ils trop finalement.. Rectifia-t-elle songeuse, pensant à son nain.

- On peut dire que tu n'as pas peur de te salir les mains, j'apprécie.

- Petite en taille ? Je fais 1m58 ! C'est pour quelqu'un de plus grand en taille mais comme j'ai ouïe dire qu'il n'y avait plus de fer.. est-ce que tu penses qu'on pourrait aller en chercher durant notre escale ? C'est le matériel de base pour en suite faire de l'acier tu m'as dit. Ça ne doit pas être bien cher. J'ai 10 florins. Cela dit, si on n'avait pas à payer.. tu crois qu'on peut utiliser le manche d'un balais ultra solide, comme hampe ? Il faudrait voir un menuiser pour ça.. si tu veux forger bien sûr.

Il se retourna vers la plaque, et la reprit, allant l'emballer dans un tissu, avec les autres qui s'entassaient dans un coin.

"J'ai fini.", fit-il en souriant. Il leva les épaules.

"Bof, une erreur n'en est pas une si son résultat est encore meilleur. Surtout si personne ne te vois la faire ...", fit-il, d'un air joueur.

"Tu ne peux pas forger quelque chose et t'attendre à garder les mains propres."

Saluant Balac Smiss, il sortit en la tirant par la main, direction le château. Sur le chemin, il continua :

"Le manche d'une lance, c'est long, et c'est son avantage principal. Si tu es trop petit, il faut raccourcir le manche et l'arme perd tout son intérêt ! Un lingot d'acier suffirait à faire la tête de lance, et je peux faire le manche moi-même, mais j'en aurais en tout pour 40 florins. Si c'est pour toi, je peux te le faire ..."

Arrivés à la salle de bain des garçons, il entra, avant de tiquer et de se retourner vers elle.

"Attends-moi dehors, du coup. Ou pas, comme tu veux.", fit-il en lui lançant un regard rieur (ou autre ?).

Il essaya donc.