Coin des prisonniers

Brashen fut réveillé par un puissant choc, non seulement il était handicapé par ses nombreuses blessures, mais ses yeux étaient bandés, sa bouche ballonné et ses mains liées.  Il n'avait aucune idée de ce qui lui était arrivé, mais il présumait que Veah avait changé d'avis, qu'il avait finalement décidé de lui reprendre sa liberté et de l'exécuter.

Comme résignée, elle n'aurait jamais imaginé pareil retour sur les mers, dans une cale, comme des marchandises. Comme ça, Kamile pensait qu'ils se seraient plutôt retrouvé dans une fosse commune. Or, ils n'étaient pas morts, en tout cas, pas elle. En donnant des coups d'épaules, elle essaya de reconnaître ceux qui étaient à ses côtés. Elle bougea les sourcils, esayant de déplacer le bandeau pour le mieux. Avec ses dents, le marin tenta de déchirer le bâillon..

Le temps sembla s’étirer inéxorablement, se faisant sentir dans leurs os, muscles et articulations endoloris. Leur drôle de captivité avait été rythmée par les bruits sur le pont, dans la cale, des conversations... De ce qu’ils avaient pu entendre, ils étaient dans un bâteau pirate s’étant échoué sur l’île, et ses occupants s’apprêtaient à bientôt lever voile. Également, ils avaient pu entendre d’autres gens se faire jeter dans la cale, mais pas avec eux... Étaient-ils humanistes au point de se soucier du confort de leurs prisonniers en manque de place? Probablement pas...

Du bruit se fait entendre, la trappe de leur cage à souris est ouverte, la lumière tamisée du soir s’y engouffre, perçant les bandeaux leur recouvrant les yeux, les silhouettes de ceux se tenant là toujours dans l’ombre de leur cécité... Des hommes entrèrent dans la pièce exiguë et commencèrent à déplacer les prisonniers vers le pont, l’air frais faisant danser leurs cheveux et caressant leur peau étant le bienvenu... Pour ce qui était d’Heruk, on décida de lui délier les pieds, pas question de le porter encore un fois, il avait failli briser le dos de bon nombre d’hommes par son poids! Le colosse pourra sentir la pointe d’une lame dans son dos alors qu’on le guide vers le pont. On le fait alors asseoir, avant de lui lier les chevilles de nouveau.

- Qui avons nous donc-là, ahah? s’exclama une grosse voix, enlevez les bâillons et les bandeaux.

Chose souhaitée, chose accomplie. Le petit groupe peut donc commencer à appréhender leur environnement: la lune commençait à pointer le bout de son nez, ils étaient entourés par une vingtaine de pirates aux airs patibulaires, dont un se faisaint remarquer par son grand chapeau presque ridicule, probablement le Capitaine de ce navire...

Encore engourdi par de longues heures d'immobilité, Brashen, bien que toujours pieds et poings liés, fit en sorte de s'étirer et se décontracter les muscles. Il  ne fut pas étonné de se trouver sur un bateau, car il avait rapidement compris qu'il n'était plus sur la terre ferme grâce au roulis du navire, toutefois il fut fort surpris de découvrir certains de ses anciens camarades. Ils étaient dans une position bien fâcheuse, face à eux, une vingtaine de solides gaillards, des pirates à n'en point douter.

Cependant la situation n'était pas si désespéré qu'elle en donnait l'air. D'abord l'avantage avec les pirates c'est qu'ils étaient toujours ouvert à la négociation, ensuite il avait à ses côtés le puissant Heruk ainsi que le retors magicien. Enfin, et surtout, Askeladd ne semblait pas faire partie des captifs, il ne tarderait donc pas à venir les sauver à l'aide d'un astucieux plan dont lui seul avait le secret.

Préférant ne pas se faire remarquer pour le moment, Brashen gardera le silence et observera son environnement.

Kamile qui avait bataillé avec son bandeau tout du long pour s'occuper, et tenter d'oublier la douleur musculaire, avait finalement cessé à cause de l'humidité crasseuse et son inutilité. Autant dire que lorsqu'on lui enleva le baillon après avoir été portée - en espérant que son identité soit restée secrète - ; ce fut une libération.
Comme si elle avait bu une grande quantité de liqueur de banane - chose qu'ils avaient peu ou prou réussi à produire en terme d'alcool sur l'île ; sa vue était un peu brumeuse. C'était surtout à cause de la pénombre, ou de la laideur de ses messieurs, qui les attendaient sur le pont. Elle remarqua celui qui semblait leur capitaine, et une pointe d'anxiété perça sa poitrine. Cependant, elle tournant subrepticement ses yeux enfumés vers Roddin. C'était leur nouveau leader..
Elle tenta de s'étirer les poignets et les chevilles, discrètement, pour se remobiliser. Et en respirant plus fortement avec le ventre, elle se mit au courant : avait-elle toujours son poignard caché dans son "corset" ?

L’homme au grand chapeau croisa ses bras sur son torse.

- Pas très bavards... Qui est votre chef?!

Lâcha-t-il avec autorité, l’équipage les yeux rivés sur eux. Kamilė n’avait plus son arme, de tels rustres ne s’étaient clairement pas gênés de quelconque décence pour fouiller les Siffleurs.

Brashen garda, encore une fois, le silence. Il est vrai qu'il y a encore quelque temps, il dirigeait les gabiers de la belle Siffleuse. Qu'il était aussi l'un des premiers, si ce n'est le premier, à avoir intégré l'équipage, et qu'il était considéré comme le fils adoptif du capitaine.  En l'absence d'Askellad il pourrait donc, légitimement, réclamer  le titre de chef.  Mais, celui qu'on appelait autrefois l'Albatros, était tombé en disgrâce peu avant sa propre disparition. En parlant de sa disparition, l'équipage devait le penser mort depuis plusieurs semaines, et pourtant sa présence ne semblait surprendre personne. Faisait-il encore partie de cet équipage, et y avait-il seulement encore un équipage ?

Dans tous les cas, le poste n'était pas pour lui, mais qui oserait le briguer ? Pour l'ancien gabier, il n'y avait que deux candidats possibles : Heruk ou Roddin. Le premier était le maitre coq du navire, une fonction essentielle car il était le garant de la bonne santé de tout l'équipage. De plus c'était un colosse d'une envergure peu habituelle, une vraie force de la nature. Qui oserait s'opposer à un homme pouvant tuer un bœuf à mains nues ? Le deuxième candidat peut-être.

Roddin n'était, certes, pas une force de la nature, mais il puisait son énergie de celle-ci. C'était le seul magicien de l'équipage et un proche conseiller d'Askeladd. Plus ambitieux qu'Heruk, plus retors aussi, c'était lui le personnage le plus important de la Siffleuse, après Askellad et Tanqueray.  

D'ailleurs, qu'attendaient ces deux crétins pour venir les libérer ?

Les poignets ficelés mais la bouche libérée, ce n'était pas pour autant qu'elle prit la parole. Sourcils froncés, Kamile avait remarqué Brashen, et elle était plus soucieuse. S'il re apparaissait maintenant, n'était-ce pas pour prendre la place du défunt capitaine ? Sa déchéance était autant présente dans les esprits que les chants qu'à tue-tête ils leur servait, et qui leur avait rempli le cœur d'espoir jusqu'au fatidique jour. Alors qu'il ne disait rien, la brune à la mèche blanche se tourna de nouveau vers Roddin. Moins défiante que l'ancien disparut et le cuisinier, elle se reposait sur lui. Modestement, et avec raison, elle se disait qu'une revendication du titre le plus haut serait risible et non avenu. Assez bonne dans le marchandage toutefois, dans la communication, ce n'était pas tout. L'androgyne avait par ailleurs sans doute été démasqué. Mieux valait faire profile bas.

Mais, qu'attendait-il ? Il était bien le seul candidat potentiel.

Qui est le chef ? Qui est le chef ? C'était toujours dans ces moments là que tout le monde baissait son froc. Tout le monde veut être le chef, faire ces petites histoires, ramener son petit point de vue. Et maintenant, quand ça risque de passer au tchintchin, il n'y a plus personne. Se sacrifiant pour la bonne cause, Roddin se présentera avec un grand sourire, comme si il venait de ressortir de la chambre d'hôte qu'on lui avait généreusement laissé pour la nuit :

- Je pense que l'on peut dire que c'est moi le chef. Enfin, si personne n'y voit d'inconvénient. Nous fonctionnons selon un processus démocratique ou chacun décide de celui qu'il juge le plus apte à mener l'équipage vers la fortune, et notre dernier représentant n'est malheureusement plus parmis nous.

Scrutant pendant de longue secondes d'un regard oppressant Roddin et son grand sourire le pirate  finalement finira par répondre. Tout d'abord il dégaine d'un habile mouvement une longue rapière dissimulé en majeure partie sous son immense  manteau noir, qui viens caressé le sol de ses bouts. Il pointe aussitôt celle-ci contre le torse de Roddin un sourire mauvais sur les lèvres.

-Capitaine je suppose alors ?   Il marque une halte , l'inspectant de haut en bas avec un regard qui transpire le mépris.   Je connais les types de ton genre. Reprend t'il , en montant la lame sous la gorge de Roddin.  Tu empeste l'ambition et la gourmandise,  tu ne sera que mauvaise influence pour ce qui reste des hommes de Askeladd . Alors pourquoi ne pas t'occire tout de suite ?  .  L'on dit que un vieux loup de mer est capable de reconnaitre la nature d'un homme au premier sourire , peut-être que c'est bien le cas pour le charismatique pirate, bien que son visage ironiquement inspire tout sauf la confiance.

Notre dernier représentant n'est plus parmi nous ? Que voulait-il dire par là ? Brashen se répéta la phrase de Roddin une dizaine de fois avant que la vérité ne s'immisce dans son esprit. Askellad ne viendrait pas le sauver, plus jamais il ne pourrait se fâcher contre lui, plus jamais il ne s'introduirait, le soir, dans la cabine du capitaine pour refaire le monde avec lui, Askellad était mort.

Il avait perdu la Siffleuse, il avait perdu Askellad. C'est comme s'il devenait orphelin pour la seconde fois. La solitude l'envahi aussitôt, il était seul maintenant. Heureusement qu'il ne se tenait pas debout, car le choc l'aurait fait vaciller. Les larmes lui montèrent aux yeux mais, par fierté, il les retint. Il retint aussi la bile qui ne demandait qu'à s'échapper de son estomac.

La querelle qui ne manquerait pas d'éclater, entre le pirate et le mage, ne l'intéressait pas. Son père était mort.

Kamile, immobile comme le marbre, avait la gorge serré comme si l'arme pointée contre la gorge de Roddin l'était aussi contre la sienne. Empester la gourmandise ? Savait-il le temps qu'ils avaient passé sur cette île à crever la dalle, le pirate ? Jalousie, et discours de lutte de classe semblait affluer dans le gosier pédant de celui qui leur était supérieur.

Soit il voulait s'emparer d'eux, soit provoquer le médecin, pour saisir le caractère de ce dernier plus précisément. C'était sans doute le but, l'intimidation. Déglutissant, avec la voix approprié, qui ne se voulait pas agressive, mais pas molle non plus, Kamile se permit de demander :

- Pardonnez moi, mais ne sommes-nous pas déjà influencé dans ce cas ?

C'était une prise de parole qui pouvait passer pour ambitieuse, et qui pourrait prouver l'influence que déjà il avait sur eux. Mais, friande d'informations, le marin ne pouvait se taire. Elle espérait qu'il y ai là une fenêtre de tire, qui puisse bénéficier à Roddin. En tout cas, menacé de cette manière, elle ne pouvait rester les bras croisés.