Cours d'introduction & de Biomagie

Quelques minutes après que tout les élèves aient fini de s’installer, un homme entra dans la salle: tout le monde se tût. Bond grisonnant portant une barbe moyenne sur laquelle trônait un air mi détendu mi assuré renforcé par les rides donnant à cet homme qui avait l’air d’avoir environ un demi siècle la prestance que conférait l’expérience. Le pas tranquille, livres sous le bras, il s'avança jusqu’au bureau en regardant le long du chemin ses élèves: si son sourire pouvait laisser penser qu’il n’était pas sérieux, son regard incroyablement perçant traduisait tout le contraire, on aurait dit qu’il cherchait à lire au fin fond d’eux, il les jaugeait tout simplement. Et bien orgueilleux aurait été celui ayant même l’envie de protester tant l’homme respirait la confiance et la maîtrise.

D’un geste du bras, il posa ses épais livres sur le tout aussi épais bureau en un claquement qui résonna dans tout l'amphithéâtre avant de s’avancer vers son assemblée.

- Jeunes gens bonjour ! Nous avons beaucoup de choses à nous dire, enfin… plus moi que vous, vu que c’est moi qui fait cours. On put entendre quelques gloussements vaguement étouffés, les blagues de ce type étaient bonnes pour l’Académie d’Oxenfurt, aussi la populace ici présente n'avait-elle l’habitude que des visages fermés et des cours déclamés sur un ton monocorde. Mais avant toute chose la politesse exige que je me présente: je suis le Professeur Vitalis d’Oxenfurt, professeur et Maître en Biomagie à l’Académie de Ban Ard, je suis comme nombre de vos professeurs un chercheur et ai donc un certain nombre de publications dans ce domaine.

L’assemblée écoutait religieusement, la biomagie était connue pour être une arcane particulièrement complexe, aussi tous ici comprenaient qu’ils faisaient face à une véritable sommité dans son domaine.

- Vous avez bien entendu j’enseigne normalement à Ban Ard. Cependant il m’arrive d’animer des séminaires et conférences dans d’autres Académies qui peuvent aussi me demander de donner des cours de temps à autres comme c’est le cas aujourd’hui. Hasard du calendrier c’est avec moi que vous commencerez l’année. Le premier contact est important, aussi essaierai-je de ne pas trop vous endormir durant mon monologue.

Il fit quelques pas, se reculant jusqu’à la face de son bureau sur laquelle il s’appuya, s’asseoir n’était pas dans ses priorités dirait-on.

- Bien bien. Il me semble que vous êtes tous ici ou presque des élèves suivant un cursus adapté: des Sources, des étudiants transférés. La responsabilité m’incombe donc en tant que votre premier enseignant à Loc Grim de vous envoyer sur la voie des mages responsables. Car pour beaucoup d’entre vous c’est à partir d’aujourd’hui que votre parcours de mage va se concrétiser. Je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler que la magie est le fait d’organiser le chaos ambiant pour l’assembler de manière précise de façon à le condenser dans une volonté qui sera celle du magicien. Ni de vous évoquer la rigueur nécessaire à votre réussite ici. Ah, j’en profite pour vous dire que les questions quant au cours auront lieu à la fin si vous le voulez bien. Notez les quelque part si vous en avez pour ne pas les oublier et levez vous lorsque je le demanderai, la plupart de vos interrogations trouveront leur réponse dans la suite de mon discours, aussi ne restez pas focalisé sur elle ou votre attention s’en trouvera détériorée.

Il prit une inspiration.

- Entrons dans le vif du sujet désormais, une petite introduction aux usages de la magie. Peut être avez vous déjà entendu parler de termes comme “magie blanche” ou “magie noire”, “arts sombres”... Le professeur accompagnait ses paroles de gestes, mettant l’emphase sur les termes pompeux qu’il citait. Ces expressions sont à bannir, d’une part car elles n’ont rien de scientifique, et de l’autre parce que la magie n’est que le résultat de ce qu’on veut en faire. Voyez-vous, vous avez de la chance qu’un expert en biomagie vous fasse cette introduction puisque ma discipline est particulièrement adaptée pour illustrer l’ambivalence du concept que j’essaie de vous exposer: la biomagie est souvent appelée, à tort, magie blanche car elle permet de soigner. C’est vrai, la biomagie permet de soigner, car la biomagie agit sur tout ce qui est organique. Partant de là, ma discipline peut aussi bien être utilisée pour désinfecter une plaie que pour y faire germer la pestilence, elle peut détendre un muscle blessé ou le compresser jusqu’à ce qu’il s’arrache. En somme, la biomagie est comme un médicament: elle peut soigner comme tuer selon ce qu’on en fait. C’est là le cœur de mon propos: la magie n’est par essence ni bonne ni mauvaise, les concepts de bien et de mal sont régis par ceux qui la manient, c’est à dire vous. Certains actes de magie sont certes prohibés car dangereux pour soi ou pour autrui, mais in fine c’est le magicien qui décide quel sort il lancera. Aussi, la magie effraie, vous serez peut être malmenés, mal aimés car vos pouvoirs impressionnent, aussi mon avant propos est il d’autant plus important, puisque la façon dont vous utilisez la magie vous rend responsable et influe sur l’image que la population en a.

Le cours continua sur cette lancée un bon bout de temps durant: démystifier et détruire les idées reçues sur la magie était l’une des premières tâches des professeurs des Académies Magiques, et le professeur Vitalis ne comptait pas déroger à cet exercice, tout aussi avenant et prestigieux qu’il fut. Les sujets varièrent ensuite sensiblement jusqu’à évoquer finalement la biomagie: ce cours était essentiellement une introduction, et quand bien même il fut long, personne n’avait décroché: Vitalis d’Oxenfurt ne récitait pas, il racontait, et son cours était vivant. Contrairement à ce que Kantz notamment avait pu connaître avec Valaar Morvid, Vitalis était un orateur qui parlait à son public au lieu de simplement réciter un cours, cette simple nuance faisait tout.

- Bien, nous arrivons à la fin du cours, en espérant ne pas vous avoir trop perdu. Rappelez vous que vous apprendrez à lancer vos premiers sortilèges très bientôt, on me pose souvent la question, alors permettez moi de prendre les devants: l’incantation à distance dont vous devez tous avoir entendu parler ici me semble t-il son regard parcourait les nombreux rangs s’étendant jusque dans les hauteurs de la salle, cherchant un éventuel visage perdu parmi son auditoire. vous sera enseignée lorsque votre niveau global sera suffisant: les bases avant tout voyez vous. Vous aurez aussi des entraînements pratiques sur la vue éthérée en début de semestre, discipline primordiale s’il en est. A ce propos il me semble que vous aurez bientôt un cours sur le désenchantement avec une démonstration de votre professeur, de même que le professeur Valberg vous parlera bientôt des différents types de protection. Enfin bref, les curieux seront satisfaits, et tant mieux !

Le professeur fit le tour de son bureau.

- Le cours est terminé, avant que vous ne partiez: y a t-il des questions ? Ceux qui sont trop timides pour les poser en public peuvent également s’entretenir avec moi une fois les autres partis.

Aine était assise au premier rang. Ou pour être plus précis, sa domestique et elle étaient assises au premier rang. Elles étaient arrivées bien avant tout le monde, et partiraient sûrement les dernières. La servante était d'ailleurs une élève de l'école elle aussi, sa scolarité à Loc Grim étant prise en charge par la famille d'Aine en guise de paiement pour ses services. Installés devant la dénommée Emilia se trouvaient plumes et parchemins, en bref, tout ce dont une étudiante lambda avait besoin pour prendre des notes assidument.  Devant Aine, rien du tout. La jeune fille aux longs cheveux blond platine reposait sa tête dans ses mains, attendant avec impatience le début de son premier cours du cycle d'apprentissage. De par sa position dans l'Amphithéâtre, seul le professeur maintenant arrivé pouvait réellement remarquer l'étrange diadème qu'elle portait autour des yeux, lui masquant la vue. Curieux accoutrement qui intriguera sûrement l'imminant professeur en provenance de Ban Ard.

Elle écouta son cours avec une grande attention, pendant que sa domestique s'acharnait à prendre autant de notes que possible pour être sûr de ne rien rater, Aine se contentait de boire les mots du spécialiste en biomagie. C'était une discipline qui l'intéressait particulièrement et qu'elle se ferait une joie d'étudier. Mais à vrai dire, c'était peu ou prou son avis sur toutes les différentes branches de l'art magique. Cependant, après la fin d'un cours aussi magistral, elle ne put s'empêcher d'aller poser quelques questions à son enseignant.

Trop timide pour oser questionner le mage en public, elle attendra que l'amphithéâtre soit presque totalement vide pour s'approcher de Vitalis. Les deux jeunes filles se levèrent. Aine s'agrippait fort à la manche droite de sa domestique qui avançait avec prudence le long du gradin et quoi qu'il arrivait, la jeune fille au diadème ne la lâchait pas une seconde. Elle se cogna sur un rebord de table, laissant s'échapper un petit gémissement de douleur suivi d'un regard inquiet d'Emilia. Chaque  déplacement dans cette salle avait des airs de parcours du combattant. Arrivant finalement, et péniblement, au niveau du bureau du mage, la jeune blonde, relevant la tête comme pour le regarder droit dans les yeux s'exprima d'une petite voix à la fois gênée et impressionnée.

-Désolé de vous ... déranger monsieur ... Vous nous avez dit qu'on ne devrait pas employer des expressions comme arts sombres, etc ... Que la magie en soit n'est ni bonne ni mauvaise, que cela dépend de comment on l'utilise. Qu'en est il de la ... nécromancie ..?

On pouvait sentir l'appréhension dans sa voix lorsqu'elle prononça ce mot, abordant sans doute un des plus grands tabous chez les magiciens.

-Est-il vraiment possible d'en fait bon usage ? C'est une exception peut être ...?

Vitalis qui avait attendu à son pupitre était toujours là lorsque les deux jeunes filles arrivèrent à sa hauteur: le dernier à partir, c'était lui, le dernier élève pouvait bien avoir une question à poser, aussi eurent elles tout le temps de descendre aussi péniblement qu'elles le voulaient. Le professeur avait bien remarqué cet étrange diadème, et ce qu'il y avait d'autre de magique à y voir... Il n'en fit cependant pas mention, jugeant que la petite souffrait de cécité et que les formalités liées à ce handicap avait dû être vues en amont avec l'Académie dont il n'était qu'un simple intervenant . "Mesdemoiselles" aura t-il dit en préambule avant que l'une d'elles ne pose ses questions.

- La question de l'animation des morts peut paraître plus insoluble qu'elle ne l'est réellement pour une raison très simple jeune fille: elle touche à la mort, soit l'une des choses les plus sacrées dans notre société. La nécromancie balaie tout les égards que nous rendons à nos morts, de même que la dignité qui leur est due. Les prêtres parlent de sommeil éternel, et l'animation des morts revient à réveiller ce qui n'aurait pas dû l'être. Ce qui en découle, c'est que l'animation des morts n'est en théorie pas plus mauvaise que la création du vivant, mais que nos conceptions et barrières mentales nous font concevoir cette arcane comme absolument répugnante car touchant à la mort, qui comme je l'ai dit est sacrée. Mes paroles peuvent vous paraître crues, mais je suis un biomage, et donc un médecin, ce que certains appelleraient de manière erronée un mage blanc. Pour mes confrères et moi même, d'autant plus pour ceux ayant vécu en temps de guerre, la mort est une chose malheureusement bien plus commune que pour des jeunes gens comme vous. La mort est pour nous autres un phénomène que nous connaissons.

Contrairement à ce que l'on aurait pu penser, Vitalis n'était pas perturbé par la question. C'était compréhensible: il était médecin, il avait vu des gens partir et savait que la mort une chose bien banale, qu'elle faisait partie de la vie.

- Pour autant l'animation des morts est une magie extrêmement invasive tant pour le corps du malheureux que pour l'environnement autour, en cela n'est il pas plus mal que cette arcane soit couverte par une barrière mentale et même interdite. Toutefois, un mort que l'on réveillerait pourrait détenir une information capitale pour sauver de nombreuses vies par exemple. Alors pour vous répondre très concrètement: l'animation des morts, autrement dit la nécromancie, n'est pas une mauvaise magie dans un paradigme naturel, mais le devient lorsqu'appliqué à nos conceptions purement humaines avec des justifications pratiques et idéologiques, même si elle peut parfois aider dans certaines circonstances. Ce n'est pas une question facile que vous me posez là, et c'est justement tout le cœur du cours. Il étouffa un léger rire. La magie est à l'image de ceux qui la manient: complexe et multiple. Le bien et le mal sont deux extrêmes d'un ensemble bien plus contrasté. Des magiciens plus compétents que moi ont jugé que l'apport de cette discipline n'était pas suffisant par rapport aux dommages qu'elle causait, en plus des interdits moraux qu'elle brise et l'on donc interdite. Je suis personnellement d'accord avec eux, mais le médecin que je suis ne peut se résoudre à totalement condamner cette arcane à l'ignominie. Sans doute le fait que la majorité de la population pense différemment n'est pas un mal, puisque les biomages ont perdu cette sensibilité à force d'un exercice qu'ils ne souhaitent pas forcément à d'autres. Ai-je répondu à votre question ?

Au final, c'était une infinité de nuances de gris que l'on pouvait voir ici. Et seul le for intérieur des deux jeunes filles seraient capables de répondre à cette question. Ce même si le professeur Vitalis était au final contre la pratique de la nécromancie bien qu'il reste sur sa position quant aux qualificatifs employés pour la désigner et qui ne tenait au final qu'à de la rigueur scientifique.

Les deux jeunes filles opinèrent alors la tête à différents moments du discours de Vitalis. Son avis était plus que simplement intéressant, il était sûrement sacrément unique. Aine n'était au fond pas sûr qu'elle puisse dire de telles choses devant n'importe quel mage. Quoi qu'il en soit, elle n'irait pas révéler le fond de la pensée du biomage à qui veut bien l'entendre et elle comme Emilia garderont ce savoir pour elles. Le professeur piqua cependant encore plus sa curiosité lorsqu'il évoqua un exemple d'utilisation "positive" de la nécromancie. Elle n'y avait jamais pensé, et ce nouvel horizon de réflexion la perturba un peu.

-Oui, merci beaucoup Monsieur. Mais ... comme vous le dîtes, il y a un monde où on pourrait en avoir besoin ..! Ne pensez vous pas que simplement l'interdire est contre productif ?

Elle passa une main dans ses longs cheveux blonds, en enroulant une mèche autour de son doigt, cherchant à organiser ses pensées.

-Ne serait-il pas mieux de laisser ce pouvoir aux mains de personnes en lesquelles on a une confiance aveugle, pour qu'ils puissent l'utiliser le moment venu ? Par ce que si l'humanité venait à s'éteindre parce qu'on a interdit les gens d'apprendre ce qui aurait pu la sauver, excusez moi de l'expression, mais je pense qu'on aura tous l'air un peu bêtes ...

Elle baissa légèrement les yeux, peu sûre de la pertinence de son propos.

Différentes écoles de pensée existaient, et celle de Ban Ard était toute tranchée.

- Je l'ignore jeune fille, doit on braver l'interdit et défier les lois pour sauver des vies voire même l'espèce humaine toute entière ? Ou au contraire est ce l'existence de ces interdits moraux qui nous séparent des bêtes, des monstres ou des criminels aux méthodes douteuses ? A chacun de voir midi à sa porte, mais comme je l'ai énoncé: chaque choix implique une conséquence un jour ou l'autre, et pas seulement pour soi.

Le propos était visiblement assez pertinent pour être tourné en réflexion philosophique.

L'aveugle hocha doucement la tête, comprenant que la question était infiniment complexe et avait été réfléchie en profondeur par des gens bien plus expérimentés et sûrement bien plus savants qu'une petite fille de 13 ans. Emilia semblait elle aussi avoir comprit. La domestique était d'ailleurs âgée de quelques années de plus qu'Aine, elle avait dû passer par l'entièreté du cycle préparatoire, n'étant pas une Source contrairement à sa maîtresse aux cheveux blonds. La fille au diadème offrit alors un gentil sourire à son professeur, s'inclinant légèrement, emportant l'autre avec elle.

-C'est bien noté, j'y réfléchirais un peu plus à tête reposée. Merci beaucoup pour votre temps Monsieur, j'espère vous revoir bientôt. Au revoir !

Curieuse expression pour une aveugle, mais passons. Après les salutations requises par le savoir vivre, les deux jeunes filles partiront tant bien que mal vers leur prochain cours.