Un parcours ”d’accrobranche”

Sur un, deux, trois... près de quarante arbres, nouant les cordes aux branches, à des hauteurs différentes et de façons différentes... À l’horizontale, pendant à la verticale, ou attachées entre deux branches à l’horizontal ou verticale, l’équation résultant à un parcours aux possibilités infinies, entre nature et technologie primitive, le talent humain allié au talent divin dans une course à l’idéal divin, pour refléter sur son corps la perfection de son Dieu, être le miroir de la perfection pour l’œil du pêcheur, qui, envieux, se tournera alors vers la lumière, l’œil attiré inévitablement par ce qui brille, mais non pas dans l’avarice, mais dans l’Amour...

Comme à son habitude, Lucius s’entraînait ici.

Lucius alors perché dans les arbres entendit des pas sous lui, non loin: étrange, d’habitude peu de monde venait ici. De branches en branches, Lucius s’élance dans le bruit de la direction avec habileté. S’il voyait assez tôt que la chose s’approchant était inconnue, il se ferait discret sans aucun doutes.

Lucius fronça les sourcils, se camouflant dans la frondaison: voilà un homme étrange? Quelle taille faisait-il? À quoi ressemblait-il? Lucius usera également de sa vision éthérée pour analyser le nouveau venu, juste au cas où.

Lucius s’était fait discret pourtant... Gardant son sang froid, ou du moins essayant, le jeune homme resta cependant dans les arbres, assez haut pour juger être en sécurité. Il était cependant prêt à esquiver ou à ériger un Quen si quelque chose dérapait. Fixant l’homme dans les yeux, Lucius s’exclama de sa voix aiguë.

- Bonsoir, lança-t-il sur un ton se voulant amical, tu es un sorceleur?

La salutation et la question de Lucius virent le silence morbide comme réponse, du moins durant les premières secondes qui suivirent. Ensuite, le garçon put entendre la voix graveleuse, rauque, celle que l'on s'imagine posséder les plus vétérans forbans des mers, bousillés à la pipe et au rhum, de l'homme qu'il interrogeait. Cette voix, à l'opposé du sentiment terrifiant qu'elle procurait, était animée d'une curieuse sympathie, un amusement.

- Hheiin ? Un quoi ?!

La tête se penchant sur un côté, et une main venant lui gratter le crâne, alors qu'il semblait pour Lucius, que le visage de son interlocuteur, était tordu par une grimace d'incompréhension.

- Un sorceleur.

Il pris la peine de bien articuler.

- Tu es à Kaer Morhen, la forteresse des sorceleurs. Tu es perdu? Tu t’appelles comment? Moi c’est Lucius.

- Aaaah oui. Ben si, j'suis un sorceleur, ça s'voit pas ? Du con.

Il toussote, et regarde autour de lui.

- Mais oui, j'suis un peu perdu, c'est vrai. T'veux pas m'aider ?

Sans répondre à sa question.

Lucius arqua un sourcil, ce que l’individu ne devrait pas voir, Lucius s’étant ”caché”. En somme, Lucius ne croyait pas vraiment l’homme. Peut-être était-il bourré? Ou un menteur?

Lucius se dévoila, et pointa du doigt la direction du château.

- C’est tout droit, une fois sorti de cette forêt, tu ne rateras pas le château. Tu cherches Eskel?

- Hum, nan. Je cherche un certain Lucius.

Fit-il, semblant totalement perdu. Il regarda tout de même du côté du château, utilisant une main comme pour mieux voir.

- J'le vois pas là-bas. Tu n'veux pas descendre et me montrer ?

Lucius sentit la branche sur laquelle il était se craquer.

Lucius souffla du nez, pensant à une blague, ou, peut-être essayant de brouiller les pistes: pour lui, cet homme ne connaissait personne ici, et essayait de le tromper.

- Bah c’est moi Lucius!

En sentant la branche craquer, il prendra la précaution de changer de branche avec agilité avant de répondre.

- Je dois terminer mon entraînement! Mais va dans la direction que je t’ai montrée, et tu verras le château.

Habile, Lucius passa sur une autre branche avant que la sienne ne s'effondre, mais alors qu'il mit les pieds sur la nouvelle, celle-ci se brisa, presque instantanément, et fit entamer une chute au garçon. Heureusement, cet arbre était grand, et il y avait bien des branches pour le rattraper... ou pas, puisqu'ils se brisèrent les uns après les autres, sans que le sorceleur ne puisse trouver un quelconque appui pour rester en hauteur. Ainsi, légèrement, sonné, et le corps douloureux, il se retrouvait à même le sol, ne comprenant pas ce qu'il venait de se passer. Alors qu'il se redressait, il verrait sa rencontre du soir, tourné en sa direction, le surplombant largement, et apparaissant presque comme un arbre lui même pour Lucius. "Grand", était si peu dire, car l'étrange personnage, ne devait pas être loin des 3 mètres...

- Ah oui, c'est toi. Il faut faire attention à la marche tu sais, Lucius. C'est dangereux de chuter d'aussi haut.

Il s'approchait du garçon.

Lucius chuta donc, ne parvenant pas à s’accrocher: décidément, cet homme était étrange. Un mage, un vampire? Il n’en savait rien. Mais, il ne pouvait pas se permettre d’être apeuré ou d’hésiter. Ainsi, il se releva, aussi rapidement qu’il le pouvait. Il regarda alors derrière lui, cherchant une issue de fuite, et se positionnera à un endroit où il n’y aurait pas d’arbre derrière lui, au cas où ça devrait péter. Il posa alors sa dextre sur le manche de son épée.

- Bon, le ”sorceleur”, tu veux quoi? Tu veux du sang? Tu veux de la chair? Tu veux la recette des mutations? Je sais bien que t’as pas peur de moi, et que tu vas sûrement pas me répondre vu ce que tu viens de faire. Mais j’te demande quand même.

Il reculait légèrement, observant l’homme d’un mètre plus grand que lui dans les yeux: il ne se laissait pas intimidé, et mourrait fier: il ne voulait pas mourir apeuré.

En se relevant, Lucius put voir avec une certaine exactitude, le visage de l'inconnu : un derme d'une pâleur cadavérique, une moustache fournie, et les rides d'un homme dans la cinquantaine peut-être ?

- Hum.

Fit-il, en se penchant légèrement vers le grand garçon.

- Pourquoi devrait-on forcément vouloir quelque chose ? Faut-il vraiment avoir un but, pour être heureux ?

Un grand sourire carnassier commença à déformer le visage du géant. Octroyant un horrible sentiment au sorceleur.

Le garçon fronça les sourcils.

- Tu ne veux rien mais t’as l’air de vouloir me manger non? T’es quoi? Un vampire? Une malédiction? Enfin, nous on appelle ça comme ça, toi, je sais pas comment tu appelles ça... Tu veux pas m’expliquer un peu avant que tu me tues? Mourir sans connaître son tueur, c’est énervant, non? Je te demande parce que tu as peut-être de l’expérience dans le sujet.

Une belle insolence en somme, dans le but d’inhiber le peu de peur qu’il ressentait.

Lucius dégaine son épée.

- Laisse moi au moins mourir avec honneur, un sorceleur ne saurait te demander plus.

Il fronça ensuite les sourcils, semblant réfléchir.

- Tu veux être heureux? C’était toi, qui appelait à l’aide il y a quelques mois? Enfin, tu n’as pas vraiment l’air d’avoir besoin d’aide vu ton sourire là.

Ainsi, le sorceleur est prêt au combat, reculant encore. Il analyse les mouvements de la chose, et, au moindre mouvement brusque, il posera un Yrden de sa sénestre puis esquivera l’attaque vers la droite avant de planter son épée dans le flanc droit de la chose puis de faire un bond en arrière, s’assurant de ne pas heurter un arbre ou autre chose.

Si ”l’homme” ne semblait pas encore hostile, il fera simplement plusieurs pas en arrière, se mettant à un bon angle, épée dégainée.

- Oh...

Fit-il, les lèvres se poussant pour faire une moue des plus sardoniques. Il fit un pas en avant.

- Serait-ce amusant pour toi, si tu savais tout avant son dénouement ?

Le voyant reculer, il jettera un œil derrière lui, en fronçant les sourcils.

- Attention, je t'ai dit de faire attention à la marche !

Le préviendra-t-il, alors que Lucius commença à trébucher, et se renverser en arrière.

- Ah parce que c’est amusant de mourir? Peut-être bien, je serais libéré de mes problèmes... Mais, ce serait dommage de mourir si jeune, nan?

Lucius le perça alors d’un regard noir, avant que son regard sombre dans l’incompréhension.

- Hein??

Il tentera alors de se réequilibrer pour ne pas tomber. Ou alors se lèvera sans même attendre. Il activera sa vue éthérée, pour essayer de comprendre comment cette chose s’y prenait.

- Eh, c’est pas du jeu ça! Je suis un sorceleur, pas un putain de sorceleur ou un Leshen!

Il était toujours sur ses gardes.

En fin de matinée, Émilie s'était permise une petite balade dans le domaine, loin du brouhaha grandissant du château, plus peuplé chaque année. Ils étaient quoi, une vingtaine quand elle s'est réveillée d'un terrible cauchemar, dans cette pièce éblouie par le soleil ? Et maintenant, il n'était plus si rare de rencontrer un camarade dans les couloirs... Enfin, ce n'était pas qu'elle dépréciait la compagnie des autres, seulement, même les plus sociables ont besoin du silence amouraché aux simples bruits de cigales et d'oiseaux chantonnant. Et à la recherche de cette atmosphère, ses pas menèrent l'aspirante sorceleuse à ce bois curieusement décoré. Ce n'était pas la première fois qu'elle le voyait, ni même qu'elle s'aventurait par ici, mais la première fois qu'elle s'attardait vraiment, à essayer de comprendre. Qui, pourquoi, comment ? Surtout que les professeurs n'avaient jamais évoqué le lieu. Elle marcha entre les arbres, puis s'arrêta pour lever les yeux au ciel ardemment visible à travers la frondaison épaisse d'une forêt d'été.

- Aaaahh... J'aurais bien tenté l'expérience, si mon jour de repos n'était pas sacré ! Dites les arbres, cela vous gêne beaucoup, que l'on vous marche dessus ?

La jeune fille, grande et fine, était de ces extravagants là, parlant autant avec les autres qu'avec eux même.

La solitude, tout le monde en a besoin de temps à autre. Certains désirent sa compagnie cycliquement, d'autres de manière inopinée et imprévisible. Tandis que la moitié s'entretiennent avec le mutisme durant une longue période, le reste se contente d'une brève entrevue. La cause de cette envie d'ermitage peut être aussi variée que le nombre de personnes ressentant le besoin de s'exiler. Ce besoin au combien particulier Carmia le ressent de plus en plus, au fur et à mesure que les jours s'écoulent et que sa situation ne stagne. Aussi singulier que cela puisse paraître, Emilie fut traversée par la même lubie que la Pianienne ; celle de flâner à m'écart de la forteresse. Cependant, une chose les sépare ; l'émérite n'avait jamais idée de dialoguer avec un quelconque résinifère.

- " Qu'est-ce-qu'elle fout... Hé ! j'pense pas qu'ils aient l'intention de t'répondre "

Les mains dans ses - semblants de - poches, le regard toujours aussi austère grâce à ses cernes encore plus creusées qu'à l'accoutumé.

Trop concentrée pour remarquer la proximité d'une camarade relativement discrète jusqu'à l'interpellation, Émilie sursaute et se fige un bref instant, avant de se retourner avec hâte, pour mettre un visage sur cette voix qu'elle ne connaissait que trop mal. La grande blonde sourit de toutes ses dents, que très peu embarrassée d'être surprise en pleine tentative de dialogue avec des arbres...

- Ils ne risquent plus, tu as dû les faire fuir, leurs esprits, avec ta tête de déterrée !

Tirant sur sa propre joue, pour souligner les cernes graves de la sorceleuse qu'elle avait en face d'elle. Émilie glousse, et sourit de plus belle, avant de ramener ses mains dans le dos, et prendre un air malin. De toute évidence, la jeune fille était taquine, et mettait de la partie, sa répartie, pour garder contenance, car elle était encore la plus ridicule des deux : parler à des arbres, quelle idée !