Tour du Mage en Chef

- Entrez... répondit une voix lasse, alors que le mécanisme se dévérouillait seul.

L'apprenti pénétra dans la salle sans demander ses restes d'un pas vif et singulier. Il s'inclina vaguement devant la personne qu'il trouva installée là, vieil être rabougri dont il ne distinguait que difficilement le sexe en raison des ravages du temps.

- Bonsoir, commença-t-il après quelques secondes de silence qu'il employa à balayer du regard la pièce et son occupante. J'ai à vous faire part d'une affaire incongrue, dans laquelle votre expertise pourrait s'avérer précieuse. Il se pourrait tout simplement que ma santé mentale ne soit pas à son beau-fixe, mais je dois dire que je pense que ce que je m'apprête à vous conter pourrait cacher quelque chose d'autre, quelque chose de plus profond.

L'être grotesque prenait un malin plaisir à déblatérer contre la vieille peau des phrases et des phrases sans prendre le temps de respirer entre elles, il fallait dire que sa voix lasse invitait à l'assaillir pour la réveiller un peu. Il enchaîna donc sans lui laisser ni le temps de répondre, ni le temps d'essayer de trouver un sens à ses premières phrases fort verbeuses pour finalement ne rien dire.

- Voyez-vous, je dormais l'autre soir, et je me suis éveillé prit d'une sensation des plus intenses et inexplicables, une sorte de peur... Non, d'angoisse diffuse, couplée à une chaleur caniculaire, et à des démangeaisons dignes de la morsure des plus grandes araignées du Continent. Jusque là vous me direz, peut-être étais-je malade, mais attendez la suite : je fus pris d'un besoin irrépressible de prendre l'air, qui me guida jusqu'à un balcon, un fort beau balcon qui se trouve non loin des dortoirs, la vue y est magnifique vous devriez voir cela mais... bref, où en étais-je ? Ah oui, au moment où une insondable tristesse s'empara de mon âme, et où j'entendis une voix, sans doute une voix de femme, qui résonnait. Comme un écho venu d'ailleurs. Figurez-vous, madame, que je ne crois pas que cette tristesse émanait de moi. Non, je ne suis jamais triste. Je crois que cette tristesse appartenait à cette voix, et après quelques recherches à la bibliothèque, j'ai lu qu'un sentiment très intense pouvait être à l'origine d'une malédiction, et qu'une malédiction pouvait imbiber un lieu, et se manifester à des heures précises.

Il reprit alors son souffle et demanda d'un ton très nonchalant :

- Bref, croyez-vous que j'ai pu être témoin des effets d'une malédiction, ou d'une apparition spectrale ? Ou suis-je simplement fou ?

La porte se ferma dans un grincement strident derrière Nero. Qöeln écouta alors son petit monologue d’un air impassible, seules ses rides venant affaisser son air stoïque, et aurait préféré être partout sauf ici à ce moment précis...

- Je n’ai pas votre temps jeune homme.

Elle posa ses mains sur son bureau, des mains frêles et pâles, striées de veines d’un bleu maladif.

- Vous êtes à Kaer Morhen, pas à la cour de l’Empereur. Cessez les grandiloquences.

Rien que d’y repenser... Pauvre Empereur, pauvre Empire, devoir abriter et converser avec de telles loques, inutiles à souhait, lèche-bottes et dénués de tout sens de l’honneur... Elle n’avait pas atterrit ici pour se retrouver dans une cour impériale remplie de gueux singeant l’aristocratie.

Ses yeux aux paupière tombantes vinrent s’ancrer sur la personne de Nero, intensément, semblant en réflexion.

- Vous êtes le seul à avancer de telles choses, la lassitude semblait s’entendre dans sa voix, il n’y a pas de malédiction, ou alors vous êtes le seul maudit, ce qui ne serait guère étonnant...

Nero pouvait aisément comprendre de quoi la magicienne parlait.

Nero ne fit aucun cas de son commentaire, et enchaîna rapidement.

- Dans ce cas, ne pourriez-vous pas voir si je suis maudit ? Cette histoire m'intrigue, si ce n'est pas une malédiction, alors qu'est-ce que c'est ? J'ai trouvé des choses sur les spectres à la bibliothèque, mais je doute qu'un spectre quelconque ne soit dans les parages, nous sommes à Kaer Morhen comme vous le dites, le pauvre ne ferait pas long feu. Qu'est-ce qui peut causer ce genre de symptomes chez une personne, induire une tristesse chez elle qui ne lui appartient pas, et parler ?

Qöeln se concentra une seconde, puis lâcha d’une voix sans conteste.

- Vous n’êtes pas maudit. Probablement juste fou.

Elle craqua ses phalanges, qui firent un bruit horriblement fort.

- Venez me voir si ça empire, votre folie sera soignée, sa seule folie était de venir la déranger, mais Qöeln gardait ça pour elle, elle n’avait pas que ça à faire de se disputer avec un gosse, d’autres questions?